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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/409

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ainsi le moyen de contrôler les rapports des gouverneurs. Malgré cette défiance et ces précautions minutieuses, on s’accordait à reconnaître que l’administration de l’atalik était aussi juste et aussi intelligente qu’elle était sévère : l’ordre et la tranquillité régnaient dans tout le pays, la sécurité des routes était complète, les voyageurs et les étrangers trouvaient partout accueil et protection.

M. Forsyth était trop intelligent pour ne pas voir, du premier coup d’œil, que les succès de Yakoub-Khan tenaient à la valeur personnelle de l’homme, et que son œuvre périrait avec lui si la dynastie qu’il essayait de fonder ne recevait d’une consécration politique et religieuse un prestige et une autorité propres à frapper l’esprit des populations. M. Forsyth suggéra donc à l’atalik de demander cette consécration au chef religieux de tous les sunnites, au commandeur des croyans, au gardien du tombeau du prophète, et d’envoyer à cet effet à Constantinople un des princes de sa famille. Non-seulement cet envoyé recevrait des autorités anglo-indiennes toute facilité pour accomplir sûrement et promptement ce lointain voyage, mais l’appui de l’Angleterre lui serait assuré à Constantinople. Ce conseil, donné secrètement, fut goûté de l’atalik, et à peine M. Forsyth avait-il regagné l’Inde, que le confident le plus intime de Yakoub-Khan, Seyd-Mohammpd-Tora, s’y rendait sur ses pas pour conclure avec le gouvernement anglo-indien le traité de commerce dont les bases avaient été posées à Kasbgar. Cette négociation terminée, il s’embarquait à Bombay, emportant de riches présens pour la cour de Constantinople.

Dès que les Russes eurent connaissance de la présence de M. Forsyth à Kashgar et de l’accueil qu’il y recevait, ils résolurent la perte de l’atalik. L’attaquer eux-mêmes, sans motif, eût été donner un juste grief à l’Angleterre, et ils ne pouvaient annexer à leurs possessions des contrées qu’ils affectaient de considérer comme appartenant aux Chinois, leurs alliés. Ils suggérèrent à leur protégé, le khan de Khokand, d’entreprendre la conquête du Kashgar et de réunir cette province à ses états, lui promettant toute espèce d’assistance. Khudayar-Khan était obligé de ménager les Russes parce qu’il ne se soutenait sur le trône que par leur compromettant appui; mais il les détestait et il se serait reproché de contribuer à la chute d’un prince qui pouvait être le vengeur de la foi et le libérateur des vrais croyans. Non-seulement il déclina les offres intéressées des Russes, mais il fit donner un avis secret à Yakoub-Khan en l’engageant à prendre une attitude plus conciliante vis-à-vis de la Russie. Cet avis, joint aux préparatifs belliqueux que les Russes faisaient au fort Narym, détermina Yakoub-Khan à écrire au général Kaufmann, gouverneur-général du Turkestan, que, si les négociations pour un traité de commerce n’avaient point abouti, c’est