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n’en était pas moins résolue dans l’esprit des principaux fonctionnaires russes. Unanimes à en proclamer la nécessité, ils n’étaient divisés que sur les moyens à employer. Les officiers se prononçaient pour la conquête immédiate et l’annexion du Kashgar tout entier. Les dépenses d’une pareille entreprise, après la coûteuse expédition contre Khiva et l’insurrection du Khokand, l’inconvénient d’ajouter aux possessions si étendues de la Russie tous les territoires réunis sous l’autorité d’Yakoub-Khan, l’appréhension de provoquer des observations et des plaintes de la part de l’Angleterre, paraissaient, aux yeux des fonctionnaires plus élevés, des objections sérieuses à une action directe de la Russie. Le retour du Kashgar et de ses dépendances sous la domination chinoise paraissait une solution préférable, les Chinois étant des voisins paisibles et peu disposés à encourager une explosion du fanatisme musulman. Il fallait seulement déterminer la cour de Pékin à faire valoir ses droits et à rétablir son autorité sur ces régions lointaines. La Russie paraît y être parvenue, car une armée chinoise s’est mise en marche depuis plusieurs mois pour attaquer le Kashgar. Yakoub-Khan est allé à sa rencontre, et, en ce moment même, les forces chinoises et musulmanes sont en présence dans le pays des Dunganis. Si la fortune, qui a jusqu’ici couronné tous les efforts d’Yakoub-Khan, ne l’abandonne point, et qu’il réussisse à repousser l’invasion chinoise, son rôle dans les événemens dont l’Asie centrale peut devenir le théâtre sera considérable.


II.

Les possessions russes dans l’Asie centrale, en dehors de la Sibérie et du Caucase, embrassent une superficie de 400,000 milles anglais carrés, c’est-à-dire un territoire égal à celui de l’Autriche-Hongrie, de l’Allemagne, de la Hollande et de la Belgique réunies. La création de cet immense empire est presque exclusivement l’œuvre des quinze dernières années. En effet, depuis la mort de Pierre le Grand, l’attention et les efforts de la Russie se sont tournés surtout du côté de l’Europe : la transformation de la Russie en puissance européenne, l’absorption de la Pologne et le démembrement de l’empire turc, tels ont été les objets principaux de la politique russe. Jusqu’à une date relativement récente, le gouvernement de Saint-Pétersbourg se contentait d’une suzeraineté à peu près nominale sur les tribus nomades qui, sous le nom général de Kirghiz, promenaient leurs troupeaux des confins de la Perse à ceux de la Sibérie, et des bords du Volga à ceux de la mer d’Aral. Quelques marques de vassalité et la liberté du passage pour les caravanes asiatiques qui fréquentaient la foire de Nijni-Novgorod,