qui s’engagent. Chacun accepte la guerre civile, les uns avec empressement comme le seul moyen de trancher une controverse trop prolongée, les autres comme un jugement de Dieu, tous comme un événement inévitable, comme le moindre des maux entre lesquels nous ayons à choisir.
« Ces derniers six mois montrent d’une façon frappante ce que sont nos institutions politiques. Tant que le peuple ne se remuait pas, l’administration, — celle de Lincoln comme celle de Buchanan, — ne pouvait agir avec efficacité. Nous allions à la dérive, maintenant on sent le gouvernail. Si le Maryland ne cède pas, ce sera le champ de bataille où les armées se rencontreront. Si la ville de Baltimore n’ouvre pas ses portes, on la rasera. Du moins telle est l’opinion ici. »
Telle est, au début de cette atroce guerre civile, la première impression d’un vieillard dont la vie déjà longue n’a jamais connu l’exaltation. Ces lignes furibondes ont été écrites par le voyageur raisonnable et modéré qui jugeait l’Europe avec tant de sévérité. C’est le même homme pourtant qui déplorait l’existence des armées permanentes, qui avait horreur des gouvernemens militaires parce que, disait-il, l’histoire de trois mille ans prouve que c’est un obstacle à la civilisation. Cette contradiction s’explique par un seul mot. Ticknor admire par-dessus tout la constitution des États-Unis. Il n’a rien connu, dans ses longs voyages, de comparable à ces institutions républicaines qui ont été créées pour 4 millions de colons groupés sur le littoral de l’Atlantique, qui s’adaptent aujourd’hui aux besoins de 25 millions d’habitans répartis sur la largeur entière du continent. S’il y a quelques mécontens, c’est que les continuateurs de Washington ont altéré la doctrine primitive de l’Union, c’est que les droits particuliers des états ont été sacrifiés aux prérogatives du gouvernement central. Tant de territoires, situés les uns au nord, les autres au midi, les uns sur le littoral, les autres à l’intérieur des terres, ne peuvent être régis par les mêmes lois, parce qu’ils n’éprouvent pas les mêmes besoins, parce qu’ils n’ont pas les mêmes mœurs. Ce vieux fédéraliste regrette que le lien ait été trop resserré; mais c’est tout, et aux publicistes éminens qui, comme de Tocqueville ou Gustave de Beaumont, reprochent aux Américains d’être fanatiques de liberté et prodigues de servitude, il répond que la liberté est la vraie force de ses compatriotes, que la servitude est un legs du passé dont ils sauront tôt ou tard se débarrasser.
Ticknor, qui avait prévu la lutte de loin, avait confiance dans le succès des états du nord. Il avait toujours annoncé que l’esclavage serait une cause d’appauvrissement pour les états du sud. Ce qu’il voyait ou entendait dire était pour le rassurer. Au-delà du Potomac, à part le pain et la viande, la pénurie est extrême, les