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à l’effigie de Chopin et de Stephen Heller, — de Chopin surtout, dont le style le préoccupe jusque dans le Roi de Lahore, — ses oratorios de Marie-Magdeleine et d’Ève, au sujet desquels nous nous sommes expliqué mainte fois, un peu vertement peut-être, mais toujours en reconnaissant le vrai mérite du compositeur, tout cela suffisait pour recommander un artiste à l’attention de la critique et du public. Au théâtre, M. Massenet fut moins heureux; sans parler d’un opéra en un acte, la Grand’tante, représenté en 1868 à l’Opéra-Comique, on peut dire que son Don César de Bazan passa inaperçu ; de cette œuvre, conçue en des proportions largement dramatiques, chose singulière, rien n’est resté qu’une pièce d’orchestre, un entr’acte; je crois pourtant me souvenir qu’il y avait aussi un duo pour baryton et soprano dont le charmant cantabile : En vous j’avais placé, Madame, me revenait à la mémoire l’autre soir en écoutant l’adagio de Scindia dans le Roi de Lahore. Aujourd’hui les portes de l’Opéra s’ouvrent devant M. Massenet, et pareil honneur n’a rien qui doive étonner; il y entre tout naturellement parce que c’est son droit et son tour d’y entrer, et que cette salle, toute vaste et splendide qu’elle soit, il a dans son art assez de sonorités pour la remplir : tâche moins simple qu’on ne croit et à laquelle, — à l’exception de Rossini, de Meyerbeer et d’Halévy, — personne ne suffit, pas même M. Gounod. Il n’est que juste d’ajouter que la partition de Faust fut composée en vue du Théâtre-Lyrique. En attendant que Polyeucte nous montre jusqu’où peut aller le vieux maître en fait de résonnance, saluons l’autorité primesautière du jeune musicien s’emparant de l’immense vaisseau et l’emplissant d’un grand souffle harmonique. L’effort a réussi, et nous y applaudirons, tout en reportant à Verdi la fière part qui lui revient dans ce succès. Affirmer que sans Aïda la partition du Roi de Lahore n’existerait pas serait aventureux, et pourtant comment nier l’influence du maître italien partout répandue sur l’œuvre de M. Massenet? Tout d’abord l’analogie des deux poèmes vous saute aux yeux : même caractère hiératique, même orientalisme; des prêtres qui pontifient, des armées qui s’entrechoquent, des princes et des princesses déplorables qui chantent après s’être poignardés, des adagios spasmodiques, — vous ne voyez que cela des deux côtés. Mais laissons hors de jeu les libretti; interrogeons la musique seule. Que nous chantent ces chœurs et ces finales, toute cette polyphonie instrumentale et vocale, sinon l’étude sévère, approfondie et, disons-le à l’honneur de M. Massenet, la vibrante admiration du chef-d’œuvre de Verdi ? Seulement dans Aïda l’école tient moins de place; à mesure que le drame se développe, vous sentez s’affirmer l’individualité du maître. Verdi traite épisodiquement ce qui n’a qu’une importance secondaire, et jamais ne subordonné le beau musical à des agrémens symphoniques; les facultés d’assimilation qui distinguent M. Massenet tiennent parfois du prestige ; son orchestre, roulant et débordant, réfléchit dans ses nappes toutes les constellations