Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/48

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

de tous ses actes. Au plateau de Satory, il écouta sans pâlir la lecture du jugement qui le condamnait à être fusillé, jeta son chapeau en l’air, cria : Vive la commune ! et mourut. De sa petite et ferme écriture, il avait libellé un projet de défense qui se termine par ces mots : « La fortune est capricieuse ; je confie à l’avenir le soin de ma mémoire et de ma vengeance ! »

On ne peut dire que Raoul Rigault et Ferré furent les hommes de la commune ; celle-ci n’eut point d’hommes, elle n’eut que des spectres, des fantômes perdus dans les ombres du passé, que le besoin d’imitation poussa aux violences, mais qui ne surent formuler aucune idée nouvelle. Mais ces deux cabotins de la terreur firent un mal incalculable en excitant toujours le troupeau des rêveurs aux mesures excessives. En révolution, il s’agit de crier le plus fort pour être le mieux écouté. Dans son livre De Paris à Cayenne (page 59), Delescluze a écrit : « L’interdiction des droits civiques devrait, en équité, suffire à la répression des délits politiques. » Il avait raison ; il eût pu faire appliquer cette loi relativement douce s’il eût été le maître, mais il cédait à la majorité, conduite par les énergumènes qui rêvaient l’échafaud en permanence et la fusillade continue. « On a vu dans les clubs, dit Stendhal, pendant la révolution, que toute société qui a peur est à son insu dominée et conduite par ceux de ses membres qui ont le moins de lumières et plus de folie. » Cette vérité est incontestable, toute l’histoire de la commune lui donne une force nouvelle. Sans excuser en rien la criminelle insurrection du 18 mars et l’étrange gouvernement qui en est issu, on peut dire cependant que celui-ci comptait certains hommes sans fiel ni méchanceté ; ils sont restés impuissans et débiles ; ils n’ont pas accepté, ils ont subi les motions sanguinaires, mais il leur a été impossible de les faire ajourner. Comme au temps du despotisme jacobin, le modérantisme était un crime, et sous peine grave il fallait hurler avec les loups, hurler plus fort, afin de n’être pas dévoré par eux. La tourbe brutale et bestiale des officiers fédérés était certes prête à tous les méfaits : les massacres lui ont semblé justes, et les incendies ne lui ont pas déplu ; mais ces grands malheurs auraient pu être évités si les chefs de la résistance, les membres de la commune n’avaient été entraînés jusqu’à la monomanie homicide par les exhortations, les railleries, les menaces, les objurgations de Raoul Rigault et de Ferré, deux horribles drôles que l’histoire ne pourra que rejeter comme elle a déjà vomi Hébert et Marat. Bientôt nous les verrons à l’œuvre dans les prisons, qui furent bien réellement leur domaine, pendant toute la durée de la commune.


MAXIME DU CAMP.