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les réactionnaires; seulement, fidèle à l’esprit qui l’animait alors, il les modifierait beaucoup.

Esaïe Gasc naquit à Genève le 13 mai 1748. Ses parens étaient des Français réfugiés, originaires du Languedoc. Son père doit avoir quitté la France peu après le terrible édit de 1724 qui dissipa les dernières illusions des protestans de France sur les chances d’un adoucissement quelconque aux mesures oppressives de Louis XIV. Il exerça longtemps les fonctions de chantre à la cathédrale de Genève, ce qui, pour le dire en passant, était considéré comme une position fort honorable. Esaïe Gasc étudia en vue de la carrière ecclésiastique, fut consacré en 1772 et appelé au poste de catéchiste. Il était déjà quelque peu hétérodoxe en religion et nettement démocrate en politique. Il était du reste très conforme aux us et coutumes de la république calviniste que les pasteurs prissent ouvertement part aux débats publics. Ajoutons que rien n’était plus compliqué, moins conforme à nos idées actuelles de justice sociale, que l’organisation politique de Genève à cette époque. Il faut regretter sans doute que là, comme en Hollande, en Belgique, dans certaines parties de la Suisse et de l’Allemagne, la révolution française ait terni l’éclat de ses triomphes moraux en blessant le sentiment national et en faisant à la fin peser l’oppression étrangère sur des populations qui avaient eu confiance en elle ; mais on peut vraiment se demander si, sans la refonte totale et forcée qu’elle fit subir à toutes les vieilles institutions locales, ces divers pays seraient parvenus d’eux-mêmes à sortir de l’enchevêtrement gothique où les retenait une organisation surannée, partout basée sur le privilège et l’exception et décidément incapable de répondre aux exigences des sociétés modernes. A Genève, par exemple, sur un territoire moins étendu que beaucoup de nos arrondissemens et sans noblesse féodale, il n’y avait pas moins de cinq à six classes de personnes séparées par d’infranchissables barrières. En tête venaient les citoyens, seuls habiles à faire partie du petit conseil ou sénat; puis venaient les bourgeois, qui pouvaient être du conseil général (assemblée des citoyens et des bourgeois) et du grand conseil (parlement au petit pied); après eux venaient les natifs, puis les habitans, puis les domiciliés, enfin les campagnards ; tout cela sur une population qui ne dépassait guère 30,000 âmes! Les dernières classes ne jouissaient d’aucun droit politique, et le mécanisme constitutionnel concentrait de fait l’autorité tout entière entre les mains d’une trentaine de familles.

La carrière politique de Gasc fut à peu près toute absorbée par ses efforts pour réformer la constitution dans un sens plus égalitaire. Vaincu d’abord, il se vit frappé d’un exil de dix ans qu’il passa en Irlande, en Suisse, surtout à Hanau et à Constance, où il remplit les fonctions de pasteur. Rappelé à Genève en 1790 et nommé pasteur d’une paroisse rurale, il continua de revendiquer l’égalité politique de tous les Genevois.