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plus loin, le goût des entreprises littéraires avec les idées de son temps et une vigoureuse sève de bon sens.

C’était un jeune homme cherchant sa voie à travers toutes les difficultés pratiques de la vie, lorsqu’au mois de février 1831 un imprimeur qui était, je crois, un de ses anciens camarades de collège, M. Auffray, l’associait à la direction d’un recueil qu’il venait d’acquérir. C’est l’origine réelle de la Revue des Deux Mondes, qui ne naissait pas sans doute matériellement ce jour-là, qui avait été fondée dès 1829 et s’était même déjà transformée en prenant le titre de Journal des voyages, mais qui n’est devenue une chose sérieuse que par cette association du 1er février 1831 à la faveur de laquelle François Buloz faisait le premier pas dans la carrière. Tout était modeste à ce point de départ déjà si lointain. Ce recueil à l’existence précaire, qui en était à sa troisième transformation en deux ans, ne comptait pas plus de 350 abonnés. Le nouveau directeur ou rédacteur en chef devait recevoir un traitement conforme à la fortune de l’entreprise : il avait 1,200 francs et 2 francs par abonnement ! mais il avait l’énergie, la volonté, la résolution de bien faire, la confiance dans cet instrument qu’il recevait si faible, dont il devait fonder la puissance.

Les revues existaient à peine alors en France, ou du moins elles en étaient à s’essayer, à chercher leur vrai caractère et même les moyens de vivre. Elles n’étaient pas devenues encore ce genre littéraire approprié aux sociétés nouvelles, plus varié que le livre, moins éphémère que le journal, participant de l’un et de l’autre, résumant sous une forme périodique la substance des choses, le sens des événemens publics et des mouvemens de l’esprit, rassemblant dans un même cadre l’art, la science, la politique. Sans se rendre entièrement compte, au moins dès le premier jour, de ce qu’il y avait de fécond dans cette idée, François Buloz avait certainement l’instinct de ce que devait être une revue, de ce qui pouvait lui assurer le succès. Il avait devant les yeux, comme modèles, les grandes revues anglaises d’Edimbourg et de Londres, qui étaient devenues si populaires, qui exerçaient toujours une action si profonde dans la politique comme dans la littérature par le choix, par l’éclat des travaux qu’elles publiaient tous les trois mois. Il se disait que ce qui avait réussi en Angleterre devait réussir à Paris, qu’une revue d’une périodicité plus fréquente, entrant dans le mouvement de rénovation qui s’accomplissait en France, ralliant les esprits au lendemain d’une révolution, avait un rôle moral possible en même temps que des chances de succès matériel. Il comprenait surtout que pour une revue sérieuse la première condition d’existence et d’extension était de ne subir aucun joug, de vivre par une sorte