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bien à l’improviste servir la Revue, c’est ni plus ni moins la révolution de 1848. Sans manquer à la tâche qu’il considérait comme la première et la plus chère, en s’y fixant plus intimement au contraire par la constitution d’une société nouvelle, François Buloz était resté en même temps, sous le titre de commissaire du roi, directeur du Théâtre-Français. Il n’avait pas cessé d’occuper ces fonctions depuis 1838. Son administration avait eu la bonne fortune de s’inaugurer avec les débuts de Mlle Rachel. Sa position avait été agrandie et fortifiée d’un supplément d’autorité qui lui permettait de vaincre toutes les résistances, toutes les difficultés, même quand ces difficultés devaient se présenter sous les traits de cette séduisante et capricieuse jeune fille de génie qui venait de faire revivre tout à coup la vieille tragédie. Il se flattait de conduire la république de la rue Richelieu, d’ouvrir la scène à quelques écrivains nouveaux, et par le fait c’est lui qui, avec l’aide d’une ingénieuse comédienne revenant de Russie, introduisait au Théâtre-Français le Caprice d’Alfred de Musset. Il avait, en un mot, comme un double gouvernement qui touchait aux deux mondes les plus agités, et je crois même qu’un jour on lui reprochait gravement d’avoir dit, dans une audience privée, au roi Louis-Philippe qu’il avait affaire aux deux mondes les plus difficiles à gouverner. La vérité est qu’il s’intéressait au Théâtre-Français comme il s’intéressait à tout ce qu’il entreprenait, mais que cette administration théâtrale de dix ans n’a été et ne pouvait être pour lui qu’un épisode, une diversion dangereuse dans une vie occupée. Il se faisait illusion à lui-même sur les inconvéniens de ce double gouvernement qui divisait ses forces, qui aurait fini peut-être par égarer son activité. Que serait-il arrivé ? La révolution du 24 février 1848 se chargeait de trancher la question par une brutale destitution, et les maîtres du jour, en frappant le directeur du Théâtre-Français, ne savaient pas à quel point ils servaient ce jour-là Buloz lui-même aussi bien que la Revue, en rendant l’homme tout entier à l’œuvre pour laquelle il était fait et dont il allait avoir désormais à s’occuper sans partage.

Au premier moment sans doute Buloz ne pouvait se défendre d’une profonde impression. Il n’aurait pas été ce qu’il était s’il n’eût ressenti vivement cette catastrophe de février pleine de redoutables mystères, où il voyait, à part une position perdue, une épreuve des plus graves pour la Revue elle-même, pour les lettres, pour les intérêts de l’esprit comme pour tous les intérêts de la France. Heureusement il était aussi de ceux qui, à la faculté de s’émouvoir, de s’inquiéter de tout, joignent la faculté de ne se décourager de rien, de se ressaisir très promptement, de retrouver aussitôt leur vigueur naturelle, une force singulière de résistance. Quelques jours étaient