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l’entraîna sur le quai de l’Horloge, où on le fusilla. Le greffier écrivit à la colonne du registre d’écrou relatant la destination : « Extrait pour être passé par les armes. »

C’est cet inconnu qui ouvre la série des meurtres systématiques commis dans les prisons ; celui-ci fut exclusivement dû à l’initiative des Vengeurs de Flourens, les autres auront une origine véritablement officielle et seront froidement ordonnés par les membres du comité de salut public réunis en conseil. Il n’en fallait pas moins rappeler que, dès la bataille engagée, la commune fut sans pitié, qu’elle tua tout ce qui lui semblait contraire à sa folie. Elle débute, le 22 mai, par ce pauvre homme ignoré, mais le soir du même jour elle prendra toute précaution pour réunir, près du dernier refuge qu’elle prévoit, les hommes considérables que, depuis six semaines, elle retient sous les verrous, afin de pouvoir les exécuter tout à son aise, lorsque le moment fixé par elle sera venu. Dans ces assassinats, sans excuse comme sans prétexte, le hasard n’a aucune influence à revendiquer ; tout fut préconçu, médité et l’on suivit imperturbablement un programme arrêté d’avance.

Dans la journée du 22 mai, soixante-dix-neuf individus furent écroués au dépôt ; les motifs d’arrestation sont identiques ; on sent que le péril s’accroît autour de la commune et que, non sans raison, elle voit des ennemis partout : « Insultes à la garde nationale, — propagande contre-révolutionnaire, refus de travailler aux barricades, — satisfait que Versailles soit à Paris, — connivence avec les jésuites de Versailles. » Deux ou trois personnes sont incarcérées sous l’inculpation d’avoir tiré des coups de feu, par les croisées, contre les fédérés, entre autres M. Tollevatz, propriétaire de l’hôtel Henri IV, situé place Dauphine. La nuit fut triste au dépôt ; les nouveaux détenus avaient apporté des nouvelles de la bataille ; les troupes marchaient prudemment, maîtresses des quartiers excentriques allongés entre les Invalides et les Batignolles, prenant position et ne portant pas l’attaque à fond vers l’Hôtel de Ville, qui restait la forteresse centrale de la révolte. Les fédérés, de leur côté, ne perdaient point le temps qu’on leur laissait ; partout on voyait passer des chariots de munition ; l’ancienne banlieue, Ménilmontant, La Villette, Belleville, Charonne, les quartiers situés entre Ivry et Montparnasse, envoyaient leurs contingens vers le centre de Paris, où des barricades improvisées s’élevaient à tout coin de rue et où la résistance paraissait se préparer à être formidable. Tous les membres de la commune s’étaient rendus dans leur arrondissement respectif, seuls le comité de salut public et la délégation de la guerre siégeaient à l’Hôtel de Ville.

La journée du 23 fut relativement calme. Onze individus arrêtés furent amenés, c’était un chiffre bien restreint ; la vigilance de