Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/551

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

voulu que la préfecture ne fût plus qu’un peu de cendres, mais il avait prescrit la manière de l’incendier, afin de pouvoir la faire évacuer par les fédérés et de se retirer lui-même en temps opportun. Le feu avait donc été mis dans les étages supérieurs ; lorsque gagnant de proche en proche les flammes envahiraient le rez-de-chaussée, bourré de munitions, l’explosion lancerait au loin les vieilles murailles calcinées, jetterait bas le dépôt et renverserait le Palais de Justice déjà en proie au pétrole allumé. On se précipita dans les rez-de-chaussée de la préfecture, au poste des officiers de paix, à la permanence, au poste des brigades centrales, et alors, sous le feu même, commença le sauvetage des poudres. Il fallait se hâter et être prudent, car une traînée filtrant d’un baril mal fermé, des cartouches s’échappant d’un sac troué, pouvaient, en tombant sur le pavé de la rue où pleuvaient les débris enflammés, causer un irréparable désastre. Il y eut là une charbonnière de la place Dauphine, Mme Saint-Chely, une solide Auvergnate du Cantal, qui fut héroïque ; manches retroussées, cheveux à la diable, en sueur et haletante, elle emportait sur son dos, comme un sac de charbon, les sacs débordant de cartouches, et, silencieuse, pliant sous le poids, elle les noyait dans le bassin de la fontaine Desaix, qui alors se dressait au milieu de la place. Cela fait, elle revenait en courant, écoutant l’explosion fusante des cartouches que les fédérés avaient semées dans les appartemens supérieurs, regardant les flammes inquiétantes qui descendaient le long des pans de bois ; elle disait : — Ah ! nous avons le temps ! — chargeait un nouveau sac sur ses robustes épaules, le jetait à la fontaine, buvait vite une gorgée d’eau et retournait encore vers la poudrière qu’il fallait épuiser : d’un mot, d’un geste, d’un cri, elle encourageait ses compagnons et ne laissait point chômer le sauvetage. Parmi les habitans du quartier qui, dans cette journée d’angoisse, se dévouèrent au-delà des forces humaines, M. Lebois, coiffeur, dont la petite boutique, située rue de Harlay, faisait face au poste des inspecteurs du service des mœurs, se distingua entre tous. Ce fut lui qui enleva le premier baril de poudre et donna ainsi un courageux exemple que l’on s’empressa d’imiter. Les tonneaux de poudre et plus de douze cent mille cartouches avaient été retirés du foyer qui menaçait de les enflammer ; tout péril grave avait disparu ; on essaya alors de combattre l’incendie. Ce n’était point chose facile ; les instrumens faisaient défaut, car, le matin même, avant d’aller présider à l’exécution de George Veysset, Ferré avait appelé les pompiers qui sont toujours de permanence à la préfecture, et les avait forcés, sous peine d’être fusillés, à emmener leurs pompes : cet avorton odieux avait bien pris ses précautions.