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Hartmann, spécialement écrite pour le lecteur français, et qui contient quelques observations intéressantes[1].

Demandons-nous maintenant en quoi consiste la philosophie de M. Hartmann. En quoi se distingue-t-elle et de la philosophie de Schelling et de Hegel ? en quoi de la philosophie de Schopenhauer ? Ce sont des nuances assez difficiles à démêler pour qui ne connaît pas les différentes phases de la philosophie allemande. Nous ne pouvons que nous borner à quelques traits essentiels. Le principe de l’inconscient paraît bien, au premier abord, n’avoir rien de nouveau et être le principe commun de toute la philosophie allemande, ou, tout au moins, celui de Schelling et de Hegel. Ces philosophes n’ont-ils pas considéré la conscience comme un phénomène secondaire né du conflit entre le sujet et l’objet ? Le développement de l’absolu était donc inconscient ; mais si ces philosophes avaient posé ce principe, ils ne s’étaient pas appliqués à le démontrer. Ils n’avaient pas établi la nécessité d’une inconscience primitive, et même Hegel semblait, dans sa Logique, imputer à l’idée absolue une sorte de conscience pure adéquate à l’idée même. Sans doute l’école de Schelling, précisément à titre de philosophie de la nature, avait dû insister sur le spontané dans l’instinct et dans l’organisme. Je ne connais pas le livre de Schubert sur le « côté nocturne » de la nature (die Nachtseite der Natur) ; mais il me semble que cela doit être quelque chose d’analogue à Hartmann. La même école, à titre de philosophie esthétique, avait aussi fait souvent remarquer le côté spontané et par conséquent inconscient du génie et de l’imagination. Néanmoins il est permis de dire que le problème n’avait pas été serré de près, sauf par Fichte, qui avait montré la nécessité de la conscience comme d’un fait premier, mais dont les idées sur ce point avaient été trop oubliées et trop négligées, même par lui. Le problème de la conscience et de l’inconscience avait été recouvert en quelque sorte par tant d’autres problèmes qu’on ne s’y était pas particulièrement attaché, et on ne l’avait pas

  1. Par exemple, M. de Hartmann fait remarquer la grande difficulté qu’oppose la langue française à la création des mots nouveaux. Évidemment c’est un blâme indirect dans sa pensée. Je ne veux pas méconnaître les inconvéniens de ce purisme, qui est peut-être exagéré ; mais il faut en voir aussi les avantages. La nécessité de se servir de mots éprouvés auxquels un long usage a donné une signification très nette est extrêmement utile à la netteté de la pensée. Au contraire, un mot nouveau que je ne connais pas, et qui correspond à une pensée nouvelle que je n’ai pas encore, n’apporte à mon esprit qu’une notion vague, et si ce mot n’est lui-même expliqué qu’à l’aide d’autres mots également nouveaux, on voit que le vague s’ajoute au vague. Je ne dis pas que ce défaut soit celui de tous les philosophes allemands ; mais c’est assurément une tendance qui doit obscurcir et voiler la pensée. La philosophie de Hegel en est un frappant exemple.