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comme faisaient jadis les jaloux Athéniens, le mérite de leurs exploits aux grands hommes de la nation. On raconte donc sur ces personnages, qui sont aujourd’hui des vieillards, des traits d’héroïsme à faire envie à Léonidas. Il serait préférable, au point de vue des intérêts nationaux, qu’ils fussent confiés à des chefs capables de combinaisons militaires et politiques sérieuses, et non pas à de braves capitaines dont toute la tactique consiste à courir les montagnes sans fin ni résultat.

Quoi qu’il en soit, celui qui aura la responsabilité du commandement se trouvera en présence d’une tâche difficile. Au commencement d’avril, les Turcs avaient encore dans l’île environ 7,000 soldats et 3,000 gendarmes. Toutes les localités qui furent jadis les places fortes de l’insurrection sont aujourd’hui dominées par des tours de pierre qu’on nomme improprement blockhaus, et qui ont en permanence une petite garnison. Debout sur chaque pointe de montagne, ces forteresses sont en vue les unes des autres ; leurs défenseurs, à la première alerte, peuvent se donner un mutuel appui. Tout rassemblement serait immédiatement connu au chef-lieu ; l’autorité locale est dès maintenant sur ses gardes.

Si ces raisons ne suffisent pas pour démontrer à quel point il est désirable que la paix ne soit pas troublée dans l’île, on rappellera que depuis une dizaine d’années le zèle religieux des musulmans de Crète a été singulièrement exalté par diverses circonstances. La misère croissante a aigri dans toutes les grandes villes de l’empire l’esprit de la population turque contre les Européens, à qui on impute non sans raison la décadence du commerce et de l’industrie du Levant, car il est bien certain que la concurrence occidentale a porté un coup mortel à son industrie et à son agriculture. Les procédés de la diplomatie des puissances avant et pendant la conférence ont été peu compris et jugés arbitraires et injustes par un peuple qui se rappelle les grandeurs de son passé et ne peut se résigner à sa déchéance ; de plus, bien qu’il ne regarde guère au-delà de la frontière, il a mesuré la force du déchaînement d’opinion que les « atrocités » de Salonique et de Bulgarie ont provoqué contre lui ; il a conclu que l’ennemi héréditaire voulait l’expulser de ses conquêtes, les autres puissances laissant faire et applaudissant même comme au spectacle d’un châtiment mérité. Par tout pays, voir discuter son droit à rester là où vingt générations d’aïeux vous ont transmis la maison bâtie par le premier conquérant est chose qu’on ne souffre guère avec patience. Ce qu’il y a d’odieux dans les crimes qui ont indigné l’Europe, parmi ces Turcs les esprits éclairés sont les seuls qui soient capables de le reconnaître ; mais ceux-là même ne trouvent pas qu’ils justifient tant de sévérité. Quant à la populace, elle a partout les mêmes penchans qu’en Europe ; le