le philosophe que nous oserions lui comparer ? » Ainsi voilà un éloge funèbre qui a produit une profonde impression même sur des lecteurs, que Cicéron a eu entre les mains et qu’il admirait, non point sans doute pour le style, qui devait être d’une trop antique simplicité, mais pour le ferme langage de la douleur paternelle héroïquement contenue.
Enfin il existe un petit fragment d’un éloge funèbre en l’honneur de Scipion Émilien, le destructeur de Carthage et de Numance, qui fut trouvé un matin mort dans son lit, selon toute vraisemblance, assassiné. Cet éloge, composé en 129 par son ami Lélius, fut prononcé par Fabius, frère de l’illustre défunt. Nous en avons la péroraison, trouvée dans les scolies du Pro Milone : « On ne saurait assez rendre grâces aux dieux immortels pour avoir fait naître de préférence dans notre cité un homme d’un tel cœur et d’un tel génie, et on ne saurait assez s’affliger de le voir mort, et de la mort que l’on sait, dans un temps où tous ceux qui avec vous désirent le salut de la république auraient le plus besoin de le voir vivant, Quirites. » Ce fragment a du prix, parce que la parole y a déjà une certaine ampleur. Cette péroraison a frappé Cicéron, qui y fait allusion dans son discours pour Murena et la résume en ces termes : « Quand Fabius, dit-il, fit l’éloge de l’Africain, il remercia les dieux de ce qu’ils avaient fait naître un tel homme dans la république plutôt que partout ailleurs, parce qu’il fallait que l’empire du monde fût où était Scipion. » Ici encore on doit remarquer une chose nouvelle et insolite, Lélius composa ce discours pour être prononcé par un autre. Cela devait plus tard arriver souvent quand l’orateur de la famille n’était pas éloquent. Lélius était le plus intime ami de Scipion, il avait partagé avec lui les périls de la guerre et du Forum ; leur union était aussi célèbre que celle d’Oreste et de Pylade. Celui-ci était le plus grand capitaine du temps, celui-là le plus grand orateur, et ce dut être pour les Romains un objet d’admiration de voir cette fidèle amitié survivre à la mort et l’éloquence de l’un, contrairement à l’usage, se mettre encore au service de l’autre.
S’il nous reste peu de fragmens de cette éloquence, nous pouvons du moins nous figurer clairement le plan d’un éloge funèbre, plan pour nous assez étrange, qui n’est pas celui qu’on choisirait aujourd’hui. L’orateur faisait d’abord l’éloge du mort, dit Polybe, et, quand cet éloge était terminé, il abordait seulement celui des ancêtres en commençant par le plus ancien, par l’auteur de la race, et redescendait de héros en héros jusqu’au défunt. On voit que l’ordre chronologique n’était pas ce qu’on recherchait. Dans la première partie du discours, dans l’éloge du mort, on célébrait, dit Polybe, ses vertus et les actions qu’il avait accomplies. Cicéron entre dans plus de détails, et, en donnant les règles du panégyrique