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J’ai tant pleuré, versé de larmes
Que les ruisseaux ont débordé;
Petits ruisseaux, grandes rivières,
Quatre moulins en ont viré.


Pour sécher ces larmes ruisselantes, le partant prodigue à sa une des consolations pleines d’une tendresse touchante, dans une langue curieusement imagée, et qui reste cependant naturelle, parce que les images sont empruntées à des détails de nature familiers aux yeux du paysan :

Arrivé dans Bordeaux,
Je t’écrirai des lettres
Sur les nuages blancs
Passant dessus les champs.

Il y aura dedans
En lettres engravées
Que je suis ton amant
Et fidèle et constant.


Il lui promet de lui envoyer de ses nouvelles « par l’alouette des champs, » elle lui donnera des siennes a par le rossignol chantant, » et, sans savoir lire ni écrire, ils comprendront ces messages aériens parce qu’ils y liront ce qui est dans leurs cœurs :

Il y a dedans ces lettres ;
Aime-moi, je t’aime tant!


Parfois l’amoureuse perd patience et, comme Claudine dans la chanson lorraine, elle s’habille en dragon et s’engage dans le régiment où sert celui qu’elle aime. D’autres fois c’est le garçon à qui le mal du pays et le mal d’amour rendent le séjour de la garnison insupportable. Il s’est engagé par dépit, « pour un doux baiser que sa brune lui a refusé, » et un matin il prend son congé « sous la semelle de ses souliers. » C’est tout un drame rapide et poignant que cette chanson du Déserteur[1]. En route, il rencontre son capitaine qui veut l’obliger à rejoindre son bataillon, mais le conscrit se bat comme un enragé et tue son capitaine. On le prend, on le condamne, on va le fusiller, et sa dernière pensée est pour sa mie.

Et quand je serai mort,
Coupez mon cœur en quatre,
Envoyez-le à Paris,
A Paris chez ma mie.
Quand elle verra cela,
Elle se repentira.

  1. On retrouve le même sujet dans une chanson allemande de l’Enfant au cor merveilleux. — das Alphorn.