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tous les moyens voir détruire sur toute la terre la religion de Jésus-Christ, a donné une nouvelle vigueur à votre foi. » Qu’a pensé M. de Bismarck de ce hautain défi ? La mansuétude, la longanimité, ne sont pas les traits dominans de son caractère ; il n’est pas non plus dans ses habitudes de mépriser aucune attaque ni de dire en souriant : Je ne me sens pas atteint. Il a coutume de ressentir les insultes, de relever le gant qu’on lui jette, de rendre avec usure les coups qu’on lui donne. Ceux qui le croyaient disposé à négocier avec l’église, à revenir sur les lois de mai, à se relâcher de ses rigueurs à l’égard des évêques, doivent faire leur deuil de cette chimérique espérance. La guerre que l’empire germanique a déclarée au prisonnier volontaire du Vatican n’est pas sur le point de finir, elle va se poursuivre avec plus de violence que jamais. Cette lutte à outrance entre la première puissance militaire du monde et un vieillard qui ne mesure plus ses paroles est un des faits les plus graves de la politique contemporaine ; elle influera sûrement sur les destinées de l’Allemagne, et il est à désirer qu’elle n’ait pas de conséquences fâcheuses pour la sécurité de ses voisins.

Personne ne prévoyait en 1871 que le nouvel empire germanique ne tarderait pas à se brouiller avec la papauté, et qu’avant peu l’Allemagne serait en proie aux dissensions religieuses. Catholiques et protestans avaient rivalisé de zèle et d’ardeur pour combattre « l’ennemi héréditaire ; » ils étaient revenus de leur heureuse campagne la main dans la main, remportant les plus riches dépouilles, couverts de la même gloire et du même sang ; rien n’unit tant les hommes qu’une haine commune et qu’un butin à partager. Au surplus, ceux qui connaissaient ou se flattaient de connaître M. de Bismarck le jugeaient capable de tout, sauf de faire jamais de la politique confessionnelle. Plus d’un chrétien évangélique lui avait reproché sa tiédeur pour la bonne cause, son indifférence ironique pour les questions de catéchisme, son superbe scepticisme d’homme d’état qui plane dans la nue et n’attache pas plus d’importance à une querelle de sacristains qu’à une discussion dans une fourmilière. S’il n’avait consulté que ses traditions de famille, l’empereur Guillaume se serait imposé de grands sacrifices plutôt que d’attenter à la paix religieuse qui, depuis vingt ans, régnait dans ses états. La politique ecclésiastique qu’on y pratiquait s’appelait le paritarisme : c’était un système de respect également bienveillant pour tous les cultes ; le gouvernement les protégeait, les patronnait et leur demandait en retour de l’aider à combattre le radicalisme, la démagogie, les passions révolutionnaires. La Prusse était un des pays du monde dont le saint-siège avait le plus à se louer ; il entretenait avec Berlin les meilleures relations. Comme nous le disait naguère un ministre wurtembergeois, un souverain protestant, luthérien ou évangélique, est bien placé pour avoir de bons rapports avec Rome, car un souverain protestant a cet avantage qu’il ne peut être accusé d’être un mauvais catholique. A la