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compromettans où ils avaient eu la main. « Le Culturkampf, lisons-nous dans un livre récemment publié, est arrivé fort à propos pour occuper le peuple et lui cacher les exploits de pillards que méditait la séquelle libérale. Le Cullurkampf est le paravent derrière lequel se sont embusqués les faiseurs. La preuve en est que toutes les feuilles qui faisaient les réclames les plus actives en faveur des entreprises de bourse sont celles qui ont le plus attisé la lutte religieuse[1]. » On soupçonnait depuis longtemps quelques personnages politiques d’avoir été les complices des spéculateurs et des loups-cerviers les plus malfamés de Berlin. Le Culturkampf est un torrent aux eaux troubles, qui charrie beaucoup de limon. Dans notre siècle, la religion se commet trop souvent en mauvaise compagnie, plus d’un fanatique est doublé d’un courtier marron, et quand tel prêcheur de croisade a fini sa harangue, l’auditoire pensif secoue la tête en se disant : Il y a du tripotage dans cette affaire. Toutefois l’auteur du livre curieux que nous venons de citer déteste trop cordialement les libéraux de son pays, son langage est trop passionné pour que nous admettions sans réserve ses explications, qui nous paraissent un peu artificielles.

M. de Bismarck ne fait jamais rien d’inutile ; quoi qu’il entreprenne, il consulte et son propre avantage et l’intérêt de l’œuvre monumentale qu’il a fondée. Si après quelques hésitations il a engagé le combat contre l’église romaine, c’est qu’il y a vu le moyen de fortifier à la fois l’empire qu’il a créé et sa situation personnelle en Allemagne. Il se comparait un jour à un chasseur de canards sauvages qui s’avance avec précaution dans le marais et ne quitte l’îlot où il a pris terre qu’après avoir cherché du pied une motte de gazon, une souche capable de le porter. Quand il dut se détacher du parti conservateur, dont les préjugés et les regrets contrariaient ses vues sur l’organisation de l’Allemagne, il se chercha un autre point d’appui ; il ne pouvait le trouver que dans le parti libéral, dont il se gagna l’adhésion en épousant ses sympathies et ses antipathies confessionnelles. On peut admettre aussi qu’il démêla de bonne heure dans la coalition formée au sein du Reichstag par le centre catholique et les patriotes bavarois un esprit de défiance, d’opposition et des tendances particularistes qui excitèrent ses ombrages. Un autre motif plus puissant détermina sa conduite : il était fermement résolu à être maître dans sa maison. Le jour où l’évêque d’Ermeland révoqua un professeur ecclésiastique du lycée de Braunsberg, qui protestait contre le dogme de l’infaillibilité, il s’avisa qu’il y avait dans l’empire un étranger qui se permettait d’y parler haut et d’y donner des ordres, et sans doute il pensa au proverbe allemand qui dit : « Ayez deux femmes sous votre toit, une souris et deux chats, un os et deux chiens, et vous n’aurez pas une heure de repos. »

  1. Politische Gründer und die Corruption in Deutschland, von Dr Rudolph Meyer, Leipzig 1877.