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mais Henri d’Albret et Marguerite témoignèrent d’une joie imprudente.

La rancune de François Ier trouva des satisfactions immédiates ; il chercha parmi les ennemis allemands de l’empereur et découvrit un prétendant à la main de Jeanne d’Albret : c’était le duc de Clèves, prince âgé de vingt-quatre ans, dont la sœur allait épouser Henri VIII d’Angleterre, héritier de Charles d’Egmont, dont Charles-Quint n’avait jamais, en vertu des constitutions impériales, voulu reconnaître les titres à la possession du duché de Gueldre. Pendant que Charles-Quint était en route pour Gand, ce jeune prince, inquiet et désireux de plaire à François Ier, avait demandé secrètement la main de Jeanne d’Albret. Il alla pourtant trouver l’empereur à Gand et en fut très mal reçu ; Charles-Quint lui reprocha de s’être mis en possession de ses états sans attendre l’investiture impériale. Le duc de Clèves envoya ses agens en France et en Béarn, et François Ier pesa de toutes ses forces sur le roi de Navarre pour le déterminer à accepter un gendre allemand. Il promit d’attaquer l’empereur en Biscaye et en Roussillon en même temps qu’en Italie. On signa à Arras un traité où le roi de France et le duc de Clèves s’engageaient à former une alliance salvo semper jure sacri imperii (les Allemands avaient exigé cette réserve). Le même jour fut signé le contrat de mariage de la jeune princesse Jeanne avec le duc. Ce contrat était un vrai traité, car le duc de Clèves et sa femme future s’engageaient à « ne traiter de la querelle du royaume de Navarre sans l’exprès vouloir et consentement du roy très chrétien et de ses successeurs. » François Ier prenait ainsi ses précautions contre une réconciliation du duc de Clèves et de l’empereur.

Ce coup de politique était hardi : il engageait dans les liens de la France un prince à qui sa naissance faisait une place des plus importantes dans ces régions du nord, où nous avions toujours besoin de secours contre l’empire, et à qui son mariage donnait une province sans cesse convoitée par l’Espagne. Albret et Clèves étaient comme deux pôles du royaume de France, ou plutôt comme deux épées dirigées vers le formidable ennemi qui nous menaçait au nord comme au sud. Il faut bien le reconnaître, la politique française avait été trop occupée de l’Italie ; les Valois se sentaient comme entraînés vers les pays du soleil, ils convoitaient le Milanais, le Béarn, bien plus vivement que les électorats ou les Flandres. Le plus noble sang de la France coula en vain en Italie ; pour le Béarn, il devait fatalement tomber un jour dans le cercle de l’attraction française : c’était un fruit qu’on pouvait laisser mûrir. Sur la frontière du nord au contraire, la France trouvait des résistances presque invincibles : c’est là que devait se porter son principal effort ;