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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/88

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En présence de ces dangers par lesquels ils étaient directement menacés et dont chacun des jours suivans devait leur apporter une preuve nouvelle, il ne restait aux anciens ministres d’autre ressource que la fuite. Pour trois d’entre eux, elle fut couronnée de succès. M. d’Haussez traversa la Normandie sans être reconnu, parvint à gagner Dieppe, d’où une barque de pêcheur le conduisit en Angleterre. Quand Charles X débarqua sur le sol britannique, M. d’Haussez s’y trouvait déjà, et tandis que la police française le cherchait aux environs de Bordeaux, il présentait ses hommages à son souverain exilé. M. de Montbel et M. Capelle, après une nuit passée chez un honorable habitant de Saint-Chéron, dans le département de Seine-et-Oise, qui n’hésita pas à leur offrir un asile et assura leur départ, se mirent en route sous un déguisement. Le premier atteignit la frontière allemande, qu’il franchit, et alla se fixer à Vienne, d’où le 21 janvier suivant, après la condamnation qui l’avait frappé par contumace, il adressa au président de la chambre des pairs une longue protestation. Le second resta caché pendant quelques jours chez le curé de Lonjumeau, puis il se dirigea vers Calais, voyageant dans la voiture d’un marchand de volailles. A Calais, il prit place sur un bateau en partance pour Douvres. Au moment où ce bateau allait s’éloigner du quai, le gendarme chargé de vérifier les papiers des passagers, n’ayant pas trouvé les siens en règle, voulut l’arrêter. M. Capelle menaça et pria, et le gendarme, pris de pitié ou intimidé, consentit à le laisser partir[1].

Les autres ministres furent moins heureux que leurs collègues. En quittant Trianon, M. de Peyronnet, soit qu’il espérât retrouver le roi à Tours et voulût l’y devancer, soit qu’il eût formé le dessein de se rendre à Bordeaux, sa ville natale, s’était dirigé vers Chartres. Là, il parvint à se procurer une voiture et des chevaux et partit aussitôt pour le chef-lieu du département d’Indre-et-Loire, où il arriva dans la matinée du 2 août. Malheureusement pour lui, depuis quarante-huit heures cette ville, qu’il croyait paisible et fidèle aux Bourbons, s’était prononcée pour la révolution. Impuissant à réprimer le mouvement, le général Donnadieu, commandant la division militaire, avait dû s’enfuir pour échapper aux poursuites dont il était l’objet. Maîtresse de tous les pouvoirs, la garde nationale le recherchait activement, exerçant de tous côtés une surveillance rigoureuse, interrogeant les voyageurs et opérant aux barrières des perquisitions dans toutes les voitures.

Dès qu’il connut ces nouvelles, M. de Peyronnet voulut revenir sur ses pas; mais c’était trop tard. Sa chaise de poste avait été signalée. Sur l’avenue de Grand mont, la portière fut brusquement ouverte

  1. Nous devons ces renseignemens à la famille du baron Capelle.