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arrêté le 15 à Granville, au moment où il se préparait à passer à Jersey, fut également écroué à Vincennes. Ses tentatives pour échapper aux poursuites dirigées contre lui n’avaient pas été plus heureuses que celles de ses anciens collègues, que l’accusation appelait déjà des complices[1]. Il avait quitté Trianon le 31 juillet, derrière Charles X, après avoir pourvu à la sûreté de la princesse sa femme, que les événemens venaient de surprendre à son château de Millemont, entre Versailles et Rambouillet, enceinte de six mois, et qui, en essayant de rejoindre son mari, s’était vue insultée par la population de Versailles, arrêtée, conduite à la maison d’arrêt, et n’avait dû son salut, s’il faut en croire M. de Lamartine, qu’au dévoûment de quelques personnes qui la firent évader sous les vêtemens d’une ouvrière. Réfugié d’abord aux environs de Senlis, chez Mme de Morfontaine, fille du conventionnel Lepeltier de Saint-Fargeau, l’ancien ministre avait traversé la Normandie insurgée, déguisé en domestique, sur le siège de la voiture de sa protectrice. Reprenant pour la circonstance son nom de famille, dont la popularité révolutionnaire devait de jouer tous les soupçons et la seconder dans sa tâche, elle le conduisait aux environs de Granville chez une dame de La Martinière, personne étrangère au pays, qui s’était fixée en 1829 à Saint-Jean-le-Thomas, bourgade du littoral. Le 10 août, M. de Polignac arrivait heureusement, à la suite de la marquise de Saint-Fargeau, au terme de son voyage. Il se tint caché, tandis que quelques personnes initiées à son secret s’efforçaient de lui faciliter les moyens de quitter la France.

Parmi elles se trouvait M. Gaslonde, receveur principal des douanes à Granville. Il disposait, en raison de ses fonctions, de moyens exceptionnels. Il s’offrit à faire embarquer l’ancien président du conseil, et ce dernier accepta son offre. Il passa même une journée à la Faisanderie, petite terre appartenant à M. Gaslonde; mais durant ces quelques heures, des défiances avaient commencé à s’éveiller contre celui-ci parmi la garde nationale de Granville : il se savait l’objet d’une surveillance spéciale, il craignit de perdre le prince de Polignac au lieu de le sauver, et renonça à intervenir. D’ailleurs, sur un avis venu de Paris, M. de Polignac avait manifesté le dessein de se rendre à Cherbourg. Toutefois il dut y renoncer, car les populations normandes étaient partout soulevées par la nouvelle du passage prochain de Charles X, qui venait d’arriver à Argentan, et gardaient rigoureusement les routes que leur colère

  1. En essayant de reconstituer les circonstances de sa fuite, soit à l’aide de renseignemens verbaux ou de relations écrites, soit à l’aide des documens déposes aux archives du département de la Manche, nous avons rencontré plusieurs versions assez différentes les unes des autres, sinon contradictoires. Nous les avons comparées, et nous croyons être parvenu, en les coordonnant entre elles, à en faire jaillir la vérité.