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contre lui à la tribune des cortès. Cet intègre et intelligent représentant, l’habituel défenseur des possessions d’outre-mer, osa prédire la perte des Philippines, et peu s’en fallut qu’il ne devînt prophète. La mesure suivante précipita l’insurrection.

Les Indiens sont soumis à la prestation et paient un tribut annuel ; mais les ouvriers attachés aux maîtrises de l’artillerie, du génie et de l’arsenal maritime de Cavite, ont été exemptés de ces charges depuis un temps immémorial. Ces artisans sont pris parmi les soldats de l’infanterie de marine, et pendant tout le temps qu’ils restent sous les drapeaux, aucun grade ne leur est donné. Sans préambule, un décret du gouverneur civil apprit à ces vieux serviteurs que le privilège dont ils devaient jouir en prenant leurs retraites était supprimé, et qu’ils seraient assujettis désormais à l’impôt et à la prestation. Peu de temps après que la nouvelle fut rendue officielle, 40 soldats de l’infanterie de marine, unis à 22 artilleurs, s’emparèrent à Cavite du fort San-Felipe. Les officiers qui voulurent s’y opposer furent tués, et à dix heures du soir, heure à laquelle les insurgés entrèrent dans le fort, leur premier soin fut de tirer le canon pour annoncer leur victoire à la ville endormie. Dès le lendemain, au lever du jour, les mutins, qui avaient compté sur la révolte du régiment d’infanterie n° 7, en garnison en ce moment à Cavite, s’aperçoivent avec terreur que les soldats restent fidèles à leur drapeau. Du haut des murailles, les rebelles les appellent, leur font des offres brillantes, les supplient de remplir la promesse qui, disent-ils, leur a été faite d’entrer dans le mouvement, mais c’est en vain. En voyant qu’au lieu de venir à eux, le régiment s’apprête à les attaquer, ils s’enferment dans la citadelle avec l’espoir que Manille leur enverra des partisans. Mais personne ne parut.

La ville de Cavite, capitale de la province de ce nom, est située à 12 kilomètres de Manille. Comme elle est placée à l’entrée de la baie, on y va par eau, de ce dernier point, en une heure par bateau à vapeur, et à pied en trois ou quatre heures. C’est là que se trouve l’arsenal maritime, et que les navires de guerre espagnols jettent habituellement l’ancre lorsqu’ils y arrivent d’Espagne. La nouvelle de la sédition parvint dès le lendemain matin à la capitale, où, qu’on le remarque bien, aucune agitation ne régnait. Une colonne composée de deux régimens d’infanterie, d’une brigade d’artillerie avec quatre canons, et placée sous les ordres du général don Felipe Ginovès Espinar, partit aussitôt pour combattre l’insurrection. Plusieurs attaques contre la forteresse furent tentées, mais sans succès. Les feux des insurgés étaient bien combinés, et, pour éviter une perte d’hommes, on se décida à réduire les émeutiers par la famine, chose aisée, car San-Felipe ne contenait aucune provision de bouche. Le blocus le plus vigoureux fut donc établi, et bientôt les assiégeans