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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 21.djvu/927

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certain que ses juges le tenaient pour innocent, mais voyant qu’on lui avait refusé de le confronter avec ses accusateurs, de lui donner un avocat de son choix, et même le droit de présenter sa défense lui-même, il jugeait inutile à la fin du procès de chercher à influencer des esprits si fortement prévenus contre lui.

Les accusés furent conduits à la forteresse, et le lendemain matin à cinq heures l’arrêt leur fut notifié par le commissaire du gouvernement. Burgos et Zamora étaient des jeunes hommes de trente ans ; aussi la lecture du jugement fit sur eux une profonde impression. Le premier éclata en sanglots, le second devint fou subitement et ne recouvra plus sa raison. Quant à Gomez, il écouta la terrible condamnation avec sa tranquillité habituelle. Le commissaire du gouvernement leur dit qu’on allait les conduire en capilla, où ils auraient à se préparer à la mort pour le lendemain matin. Une voiture fermée avait été commandée la veille pour transporter les reos dans la petite église située dans la plaine de Bagumbayan, à quelques pas de la place d’exécution. Comme elle n’arrivait pas, et que la foule devenait de plus en plus compacte aux alentours de la citadelle, le commandant du fort offrit son équipage, l’un des plus élégans de la ville. Deux sergens d’infanterie prirent à la main les rênes des chevaux pendant qu’une compagnie de soldats formait un carré dont la voiture était le centre. En avant et en arrière, le cortège était précédé et suivi par un piquet de cavalerie.

Ce n’était plus un triste convoi de criminels, c’était une marche triomphale : l’élégante calèche aux chevaux fringans et dont les harnais aux plaques d’argent étincelaient au soleil levant, les livrées du cocher et des valets de pied d’une forme irréprochable, le bruit et l’éclat des armes, les Indiens en foule agitant au vent leurs mouchoirs, saluant au passage ceux qui allaient mourir pour avoir rêvé l’indépendance du pays, complétaient l’illusion. Dès que les condamnés furent descendus de voiture, on leur ôta leurs vêtemens sacerdotaux, et, comme à des malfaiteurs de la pire espèce, on leur mit des fers aux pieds et aux mains. Presque aussitôt arriva le quatrième condamné à mort, Saldua ; son visage était souriant, et chacun racontait qu’en quittant la prison il avait dit à sa famille : « A bientôt ! » En ce moment apparurent à l’entrée de la chapelle des prêtres indigènes et des moines espagnols de l’ordre des récollets ; ils venaient, selon l’usage, offrir les secours spirituels aux futurs suppliciés. Le commissaire du gouvernement, Boscaza, qui ne quittait plus un seul instant ceux dont la veille il avait obtenu la condamnation, eut le courage de leur dire avec ironie : « Ce n’est sans doute pas à des prêtres espagnols que vous voudrez vous confesser ? — vous vous trompez, s’écria le père Gomez, rien de mieux pour nous entendre ! » Burgos fit choix d’un jésuite ; un frère de la