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« Nulle part on n’est mieux qu’entre ses quatre pieux. » Et pourtant quel peuple aime plus se déplacer ? Où trouve-t-on comme en Allemagne ces joyeux voyages d’étudians et d’écoliers ? Qui envoie plus d’émigrans aux pays lointains ? — L’étranger, le Latin surtout, accuse l’Allemand d’être très matériel. Il est vrai que l’Allemand aime beaucoup à boire et à manger ; il est, comme a dit Luther, « chevauché par le démon de la soif. » Pourtant quel peuple a de plus hautes pensées, se tourmente plus à la recherche de l’idéal, est plus capable de sacrifier gaîment à une idée et ses biens et sa vie ? Le Français se moque des rêveries allemandes, mais son mot : « C’est du haut allemand » prouve son impuissance à comprendre la nature germanique. L’Anglais lui-même, encore qu’il soit de même race, est bien inférieur : l’Allemand qui met le pied en Angleterre se sent tout de suite, par comparaison, l’homme de l’esthétique et de l’idéal. — L’Allemand, dans beaucoup de circonstances de la vie, a tout l’air d’être la prose personnifiée ; pourtant il a chanté avant tous les autres peuples : son oreille est ouverte à toute harmonie, si légère et si lointaine qu’elle soit, et son cœur à la pleine intelligence et au sentiment profond de la poésie. — L’Allemand, dit-on, a le tempérament flegmatique, et c’est du sang de poisson qui coule dans ses veines ; mais quand il est saisi par la vieille fureur teutonique, sa colère est autrement redoutable que celle du Latin, criard et gesticulant. — À ces contrastes on en pourrait ajouter d’autres encore, dit toujours M. Daniel. C’est le fait d’une nature superficielle et plate que de ne pouvoir contenir toutes ces contradictions. Profonds et sérieux étaient les vieux Germains, qui par là se distinguaient des Celtes, et les Allemands sont demeurés profonds et sérieux comme les vieux Germains. Ils sont les meilleurs interprètes de l’humain et du divin. Le respect des choses saintes est une vertu allemande. En dépit des mauvais exemples venus du dehors (inutile de faire remarquer que le dehors, c’est la France, comme le Latin c’est le Français), l’Allemand a gardé le sentiment profond de l’honneur, du droit, de la morale : « L’honneur est si délicat chez lui, comme a dit un ancien philosophe, que la moindre chose suffit à l’offenser ! » Un Allemand débauché, par exemple, trouve dans sa conscience un remords que ne sent jamais le Latin de son espèce. Jamais l’Allemand n’oublie que le mal est en contradiction avec son être. Cette haute valeur d’une nature parfaite se retrouve dans les deux sexes et à tous les âges : l’homme allemand est plein de droiture et de loyauté ; le jeune Allemand, rude et fermé en apparence, a de la moelle dans les os, de l’idéal plein la tête, le cœur à la vraie place ; la femme allemande est le joyau de toutes les femmes de la terre ; la jeune fille allemande est la plus gracieuse, la plus belle, la plus pure des fleurs ; la maison allemande est le temple de la discipline, du sérieux, mais aussi de la douce et confiante bonne humeur. Tel est le portrait que M. Daniel trace du peuple allemand. L’écrivain ne nie point