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fois, ses amis s’effrayèrent. La douce et tranquille atmosphère de La Haye la remit un peu. Une fête organisée par quelques amis de la philosophie pour célébrer l’anniversaire de la mort de Spinoza l’intéressa vivement. Elle voulut y assister en esprit, et fit exposer dans la salle de la réunion un portrait, le seul peut-être authentique du penseur hollandais, qui ne quittait jamais sa chambre. Le soir, elle rappelait la belle maxime de ce grand sage : « La philosophie est la méditation, non de la mort, mais de la vie. » Sa mort a été en Hollande un deuil public. Sa vie, nous la méditerons peut-être un jour, quand il sera possible en pensant à elle de faire la part à autre chose qu’à la douleur et aux regrets.


ERNEST RENAN.


ESSAIS ET NOTICES.

 : Henriette-Marie de France, reine d’Angleterre, étude historique par le comte de Baillon. Paris 1877.


Il y a deux opinions dans l’histoire sur Henriette-Marie de France : l’une, que Bossuet, dans son Oraison funèbre, emporté par le torrent de l’éloquence, a sans doute poussée jusqu’à l’excès de la louange officielle, et l’autre, tout opposée, qu’un illustre historien protestant, dans son Histoire de la révolution d’Angleterre, a peut-être accusée jusqu’au dénigrement. Comme d’ailleurs on jugeait la reine uniquement sur ses actes publics et le rôle extérieur qu’elle a joué dans l’histoire politique de son temps, l’une et l’autre opinion, dans une certaine mesure, selon ce qu’on pensait des révolutions d’Angleterre, pouvaient se soutenir et se justifier. Cependant la personne elle-même était assez mal connue : sa vie intime, ses sentimens de femme, sa pensée de derrière la tête, les secrets de ses résolutions et les causes de ses actes nous échappaient. Il y avait là certainement oubli, « négligence injuste de l’histoire, » et c’est une heureuse idée du comte de Baillon que d’avoir voulu réparer cet oubli dans un livre composé tout entier d’après des documens nouveaux, et pour la plupart inédits, du moins en France. Les matériaux étaient là tout prêts : pour la jeunesse de la reine et les années de prospérité, une Vie d’Henriette-Marie, publiée par miss Agnès Strickland dans un grand ouvrage sur les Reines d’Angleterre et d’Ecosse, qui mériterait d’être plus connu, s’il faut juger par le profit qu’en ont tiré les historiens récens d’Elisabeth et de Marie Stuart ; pour les années de luttes et de misère, une correspondance importante, cent quatre-vingt-une pièces, découvertes en partie depuis 1857 au British-Museum, dans un manuscrit de la collection harléienne, par une autre