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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/102

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colonie. Qu’importe à l’habitant de Rockampton dans le nord que le parlement de Queensland siégeant à Brisbane embellisse de routes et enrichisse de railways les districts du sud ! Jamais ces routes et ces railways ne lui serviront à transporter ses laines et ses sucres. Qu’importe à la Riverina, vaste district pastoral à l’extrémité de la Nouvelle-Galles du sud, dont la métropole, Deniliquin, est plus proche de Melbourne que de Sydney, l’honneur d’appartenir à la mère des colonies australiennes ! Quoique son territoire compose presque la moitié de la Nouvelle-Galles du sud, sa faible population ne lui donnera jamais influence ni pouvoir au parlement de Sydney. Le mot de séparation est donc en effet, on le voit, un de ceux qui sont le plus fréquemment prononcés en Australie ; mais, loin d’être l’expression d’une menace à l’adresse de l’Angleterre, il serait au contraire pour elle un motif de se rassurer, si elle était jalouse de retenir le plus longtemps possible les colonies australiennes sous son autorité, souci qui lui tient peu à cœur, comme l’a démontré toute sa conduite, et qui n’est pas destiné dans l’avenir à causer de bien cruelles insomnies à ses hommes d’état.

Cet esprit de rivalité et de séparatisme a donné naissance à un protectionisme de nature bizarre dont les prohibitions n’ont d’analogues que celles de notre plus mauvais ancien régime économique. Voici des colonies qui ne sont, à tout prendre, que des démembremens d’un seul et même établissement colonial, et elles sont séparées par des cordons de douanes aussi sévères que ceux qui séparent les divers états européens, en sorte que les produits de chacune d’elles ne peuvent pas plus être consommés libres de taxes par les habitans de la voisine que si elles étaient de provenance étrangère. C’est à peu près le régime économique auquel étaient soumises les provinces françaises lorsque Galiani écrivit sa célèbre lettre sur le commerce des grains. A vrai dire, les colonies sont bien quelque peu contraintes à ce régime. C’est d’abord le prix dont elles paient leur indépendance. Quand on veut être indépendant, il faut vivre de son revenu, et les droits de frontières sont une des branches importantes du revenu de chacune d’elles. C’est ensuite le prix dont elles paient leur séparation. Si les diverses parties de l’Australie ne formaient qu’un seul corps, leurs denrées respectives pourraient circuler librement d’une extrémité du pays à l’autre ; mais comme elles composent des colonies distinctes, elles se trouvent soumises à la loi anglaise qui, toute en faveur du libre commerce, stipule que les marchandises d’une colonie ne pourront entrer dans une autre colonie sans être frappées d’un droit égal à celui dont sont frappés à leur entrée dans le pays les produits similaires de provenance étrangère, c’est-à-dire que, si la Nouvelle-Galles du sud frappe d’un droit le sucre venant de Cuba, elle est