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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/133

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musulmane, sans soulever par conséquent les colères musulmanes et sans les provoquer par contre-coup dans son immense empire indien, où 40 millions de musulmans n’en demandent pas tant pour vouer une haine inextinguible à une puissance ouvertement ennemie du croissant. Si donc la politique anglaise a quelque chance de réussir dans la voie nouvelle où les événemens la poussent, c’est à la condition expresse qu’elle distinguera soigneusement le Turc du musulman et qu’elle prouvera par sa manière d’agir vis-à-vis de l’islam qu’elle ne le rend pas solidaire des griefs dont on poursuit le redressement aux dépens de la domination turque. Je ne dis pas que cette distinction sera facile à traduire en faits éclatans, je me borne à observer qu’elle est absolument nécessaire, et pour qu’elle soit possible, il importe que le public anglais se fasse de la religion musulmane une idée très différente de celle que des jugemens superficiels ont accréditée en Angleterre comme dans tous les pays chrétiens.

Ce serait faire tort à M. Bosworth Smith que de rapporter à un calcul politique la peine qu’il a prise dans ces dernières années pour redresser l’opinion de ses compatriotes au sujet de Mahomet et du mahométisme. Avant tout littérateur et savant, il n’a abordé sa tâche en 1872 que du point de vue de la justice historique, au nom du principe de philosophie religieuse d’après lequel toutes les religions humaines ont une origine commune. Cette manière de comprendre les religions et leur histoire ne force nullement à leur attribuer à toutes une même valeur, tant s’en faut, mais elle ne permet plus aux partisans de l’une d’entre elles de lancer contre toutes les autres ces arrêts de condamnation absolue dont l’ancienne théologie était si prodigue. En étudiant l’islamisme à la lumière d’un tel principe, le savant anglais devait naturellement trouver bien des injustices dans les notions courantes, et il s’est appliqué à les corriger avec un zèle qui ne fait certainement aucun tort à la sincérité de son christianisme, mais qui confine parfois à l’enthousiasme et qui peut-être l’amène par momens à des appréciations selon nous un peu trop optimistes. Il faut comprendre ces entraînemens inévitables d’une première réaction contre des préjugés séculaires. Les lectures que M. Bosworth Smith fit sur cet intéressant sujet à Harrow en 1872 eurent du retentissement et furent répétées sur demande à l’Institution royale de Londres en février et mars 1874. Il en est sorti un beau livre intitulé Mohammed and Mohammedanism, dont la seconde édition a paru l’an dernier[1]. Pour les raisons que nous venons de déduire, les circonstances lui ont

  1. L’ouvrage est dédié, avec une galanterie conjugale toute anglaise, uxori suæ, laboris participi, comme studorum communitatis primitiæ.