Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/188

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mon poème, qui n’a été interrompu que pendant une quinzaine de jours et que j’ai repris avec une vraie félicité. Enfin je suis dans un état de douceur, d’harmonie et de paix qui m’était à peu près inconnu. Crois, ma chère maman, que, lorsque mon cœur n’est pas submergé par la douleur, il est pour toi ce qu’il a été toujours dans ma première jeunesse, et qu’il faut me pardonner beaucoup, parce que j’ai beaucoup souffert. »

Ce poème dont il parle, c’est Napoléon, composé en grande partie à Bade et dans la vallée de Lichtenthal pendant cette année 1835 ; Ahasvérus, composé un peu partout, avait paru en 1833 ; ensuite viendra Prométhée, sur l’inspiration duquel il nous donne en ses lettres un commentaire de l’intérêt le plus vif. « Autant Ahasvérus, dit-il, poussait au désespoir, autant son successeur doit ramener la céleste paix. » Quand on a jugé ces œuvres avant de connaître les confidences du poète sur son inspiration secrète, il y a plaisir à retrouver dans ces lettres familières la confirmation du jugement qu’on a porté. C’est ce plaisir qu’éprouverait M. Charles Magnin, s’il était encore de ce monde, c’est ce plaisir que nous ressentons nous-même en parcourant les lettres de Quinet à sa mère[1].

Faut-il signaler maintenant dans la suite de cette correspondance tout ce qui se rapporte à l’histoire de notre littérature sous la monarchie de juillet ? Il y aurait bien des détails curieux à en extraire, bien des ébauches lestement enlevées, bien des profils dessinés au courant de la plume et que peut réclamer la chronique ; en même temps, disons-le, on y retrouverait plus d’un jugement contestable, plus d’une parole légère, inconsidérée, de ces paroles qui échappent à la mauvaise humeur ou qui marquent l’antipathie des caractères, l’antagonisme des écoles, beaucoup plus qu’elles ne révèlent l’esprit de la vraie critique. Je n’aime pas que l’auteur d’Ahasvérus, mécontent d’un article de Sainte-Beuve sur Mme de Staël, n’y voie que du barbouillage, car je me rappelle que Sainte-Beuve, précisément vers ce temps-là, dans une épître à M. Patin, exprimait lui-même tout ce qui le séparait de la poésie de Quinet, sans méconnaître la noblesse de sa fougueuse nature. C’est la réponse à ces strophes irritées où Edgar Quinet maudit la muse latine :

  1. Voyez les études de M. Charles Magnin sur Ahasvérus et Prométhée dans la Revue du 1er décembre 1833 et du 15 août 1838. Qu’il me soit permis de citer aussi l’étude consacrée à l’ensemble des œuvres d’Edgar Quinet (1er juillet 1858) et celle qui porte ce titre : l’Histoire et l’idéal de la révolution française (15 mai 1866).