éloquentes et amères le mettent en vue dans la mêlée politique. Une certaine popularité l’enivre. Le cours qu’il va ouvrir au Collège de France, bien qu’il n’y porte d’abord que des études littéraires et philosophiques d’un ordre élevé, lui sera bientôt une cause nouvelle d’exaltation. La fièvre l’a repris au cerveau, non pas cette fièvre toute poétique, toute morale, qui l’agite aux débuts de sa vie et dont la douce Minna l’a délivré, mais la fièvre politique, la fièvre religieuse, entretenue par les batailles quotidiennes et les insultes des fanatiques. Où est le penseur si noblement troublé, le chercheur si poétiquement inquiet, l’homme de Dieu en quête du Dieu qu’il a perdu ? trop souvent, hélas ! à travers la fumée du combat, je n’aperçois plus que l’homme de secte et de parti.
On a tant de fois apprécié ici même ces luttes philosophiques de 1843 à 1848, qu’il serait superflu d’y revenir. D’ailleurs les lettres de Quinet à sa mère ne nous font assister qu’au début de cette période, et, sauf quelques récits de voyage qui complètent les Vacances en Espagne, elles n’ajoutent rien à ce qu’on savait déjà. Toutefois, sans sortir de notre sujet, sans quitter les confidences juvéniles du poète, sur le seuil de ce domaine orageux que nous ne voulons pas rouvrir, donnons-nous le plaisir d’éclairer la seconde partie de sa vie à l’aide des rayons que nous apporte la première. Ce sera la conclusion naturelle de cette étude.
Quand on vient d’interroger à fond ces deux volumes, il est impossible de ne pas être frappé de ce que j’appellerai la haute vocation poétique et religieuse d’Edgar Quinet. Pour comprendre ses lettres, il faut relire ses livres ; pour apprécier complètement ses livres, il faut recourir à ses lettres. Or le résultat de cette comparaison, c’est que le travail intérieur de l’âme de Quinet, travail continu, douloureux, ardent, toujours plus opiniâtre et plus enthousiaste de 1820 à 1840, peut se réduire à un petit nombre d’idées maîtresses dont voici le résumé. D’abord le jeune penseur, dès qu’il s’éveille à la vie de l’esprit, sent l’impossibilité pour l’homme de se passer de Dieu. Ce Dieu qu’il appelle, il le trouverait sans doute dans le christianisme, car le christianisme parle à son intelligence, à son imagination, à son cœur, par les mille voix de l’histoire et de la nature ; mais comment concilier la religion de l’Évangile avec cette autre bonne nouvelle qui a transformé le monde en 1789 ? Si le christianisme et la révolution ne peuvent vivre ensemble, c’est à la révolution qu’il s’attachera. Il ne cesse pas pour cela de chercher le Dieu dont la race humaine a besoin. Ses études sur le génie des religions lui ont appris que toute société politique a pour fondement une foi religieuse, qu’il n’y a pas dans l’histoire du monde un état, un ordre social, une grande