Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/199

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contempler le côté qualitatif des phénomènes, consentirent à tenir compte de toutes les observations et abordèrent l’étude des relations de quantité, on n’a pas tardé à reconnaître le vide de cette conception. Bientôt, par des mesures précises et des analyses exactes, on a pu établir une théorie qui n’est que l’expression des faits. Alors la chimie, qui existait à peine avant Lavoisier, est devenue cette science merveilleuse dont une vie d’homme suffirait difficilement aujourd’hui à dénombrer les découvertes incessantes et les applications toujours nouvelles.

On en pourrait dire autant de la géologie et de la biologie, pour ne citer que les dernières venues, nées d’hier et déjà riches de conquêtes assurées. Toutes, délaissant les systèmes, ont progressé suivant la même marche : recueillir un grand nombre de faits isolés, constater le degré de généralité dont ils sont susceptibles, établir la loi naturelle, c’est-à-dire la formule qui résume synthétiquement chaque groupe de faits, enfin soumettre ces résultats à des contrôles multipliés. La science sociale, que M. de Bonald appelle la science des sciences, ne pouvait parvenir qu’après les autres à cette phase de son évolution : elle devait être la dernière à se prêter au joug rigoureux de l’exactitude. Pour elle aussi cependant l’heure est venue d’abandonner le champ des hypothèses vagues et des théories creuses, pour se choisir une sûre méthode d’observation et pour placer ses fondations sur le terrain solide des faits. Cette double nécessité, le génie scientifique de F. Arago l’avait nettement entrevue au milieu de l’effarement des esprits entre les journées de février et de juin 1848. Deux tendances opposées se manifestaient alors parmi les gouvernans qui avaient pris la direction des affaires publiques. Les uns, auteurs de systèmes socialistes, prétendaient résoudre la question sociale en contraignant l’état à intervenir entre les patrons et les ouvriers pour régler les conditions du travail. D’autres, et parmi eux F. Arago, inquiets à bon droit des passions déchaînées par cette nouveauté, cherchaient une issue à la situation difficile créée par les ateliers nationaux. Sur l’invitation de son ami Jean Reynaud, sous-secrétaire d’état à l’instruction publique, M. Le Play prit part aux conférences intimes d’économistes et de socialistes que M. Louis Blanc présidait au Luxembourg[1]. Mais le temps des discussions méthodiques n’était pas venu, et la question momentanément insoluble par la raison allait être tranchée par la force. Néanmoins les efforts

  1. Sous l’inspiration de M. Louis Blanc, le Moniteur a publié, dans son numéro du 24 mars 1848, le compte-rendu fort curieux d’une séance dans laquelle M. Le Play avait exposé les résultats de ses voyages d’enquête sociale auprès des paysans du Hanovre et des corporations de mineurs du Hartz.