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épée ou par un acte d’autocratie ? Ce qui se passe aujourd’hui n’a rien de nouveau. C’est toujours le mot d’un homme que M. le président du conseil a étudié, de M. Royer-Collard : « Faut-il donc ruiner les pouvoirs de peur qu’ils ne soient pervertis par les factions ? Ce sont les conseils de l’inexpérience ou de la pusillanimité ; ou des factions elles-mêmes. Si on les suit, ce qu’on aura détruit, ce n’est pas le mal !, c’est le remède. Le mal, on ne le détruira pas, il est dans la société ; le remède, toujours présent, ne se trouve que dans la multiplicité et l’opposition des pouvoirs, dans leur force défensive aussi bien qu’offensive, dans la combinaison de leur énergie réciproque… Sans doute c’est laborieux, mais les constitutions ne sont pas des tentes dressées pour le sommeil. Les gouvernemens, quels qu’ils soient, sont sous la loi universelle de la création ; ils ont été condamnés au travail ; comme le laboureur, ils vivent à la sueur de leur front… »

Qu’un gouvernement sensé, modéré, eût un peu plus de peine avec la dernière chambre qu’avec toute autre, qu’il fût un peu plus obligé de vivre « à la sueur de son front, » c’est possible ; mais, après tout, il ne faut pas exagérer. Parmi toutes les propositions qu’on a si complaisamment énumérées, quelles sont celles qui ont définitivement prévalu, qui ont pénétré dans nos affaires par effraction ? L’amnistie a été solennellement repoussée. Le budget des cultes a été à peine touché dans quelques détails ; en tout cela, il y a eu plus de taquineries que de suppressions réelles. La chambre a laissé au gouvernement, pour la nomination des maires dans les villes et dans les cantons, un droit que M. Thiers avait été obligé de conquérir de haute lutte, en pleine insurrection de la commune, sur la dernière assemblée. La législation sur la presse n’a point été supprimée, puisqu’elle existe encore et qu’on s’en sert depuis quelques semaines fort consciencieusement, sans laisser même dormir les décrets de 1852. La vérité est que cette malheureuse chambre, plus turbulente en apparence qu’en réalité, n’a presque rien fait ; elle s’est donné le tort de beaucoup d’agitations médiocres, de beaucoup de propositions inutiles ensevelies dans les commissions, et, en fin de compte, s’il y avait eu des tentatives réellement menaçantes, est-ce que le sénat n’était pas là ? Est-ce que M. le président de la république n’était pas suffisamment armé ? Est-ce que ces deux pouvoirs unis ne restaient pas en mesure d’arrêter le progrès de ce mal qui, au dire de M. le président du conseil, aurait été en train d’envahir l’état ? Ils l’ont déjà fait. Le sénat n’a point hésité à maintenir ses prérogatives dans leur intégrité, à les exercer en toute indépendance et même à repousser des lois qui n’avaient certes rien de révolutionnaire, comme la restitution à l’état du droit de conférer les grades universitaires. La chambre des députés s’est-elle révoltée ? Non ; elle s’est soumise, elle a respecté les droits de la première chambre, elle n’a même pas renou-