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révolution dans les mœurs et les habitudes de son temps ; personne n’a plus aidé que lui aux progrès du luxe qu’il avait coutume de déplorer. On raconte qu’il fît lire un jour devant le sénat et le peuple un vieux discours de Rutilius « contre ceux qui ont la manie de bâtir ; » il oubliait qu’il en avait donné lui-même le goût et l’exemple par ses constructions magnifiques, et qu’une bonne part des reproches qu’il adressait aux autres retombait sur lui.

« J’ai trouvé Rome de briques, disait-il quelquefois, et je la laisse de marbre. » M. Jordan fait remarquer avec raison que jamais métaphore ne fut plus une vérité. Avant Auguste, le marbre était rarement employé dans les constructions romaines ; il devint d’un usage général avec l’empire. Les princes ne furent pas les seuls à en orner leurs demeures, il y en avait à Pompéi jusque dans les boutiques de foulons et de marchands de vin ; mais c’est au Palatin surtout qu’il abonde ; nulle part on ne le retrouve en telles quantités, et l’on aurait vraiment quelque peine à se figurer comment les architectes qui bâtirent les palais des césars pouvaient se procurer si aisément ces marbres rares et précieux qui venaient de toutes les parties du monde, si une découverte qu’on a faite il y a quelques années n’aidait à le comprendre. Sur les bords du Tibre, non loin de cet étrange mont Testaccio, qui est formé par des tessons de vases cassés, on a trouvé en 1867 un ancien port de Rome. Les anneaux qui attachaient les vaisseaux au quai de pierre, les degrés par lesquels on descendait et l’on remontait les fardeaux sont visibles encore. Autour du port étaient construits de grands magasins où l’on entassait provisoirement les marchandises après leur débarquement. Ils contenaient encore, quand on les a découverts, un grand nombre de blocs de marbre qu’on avait commencé à dégrossir. Les inscriptions gravées sur ces blocs, comme sur les pierres du vieux mur de Servius, nous donnent, à propos de leur provenance et de la façon dont on les amenait à Rome, des indications curieuses[1]. Les carrières les plus célèbres dans le monde entier, celles qui produisaient les marbres les plus renommés, appartenaient aux empereurs : ils se les réservaient pour les monumens qu’ils faisaient construire. Les travaux qu’on y entreprenait, le nombre d’ouvriers qu’on était forcé d’employer, devinrent si considérables sous Trajan, qu’on en forma une administration spéciale (ratio marmorum) qui dépendait sans doute de celle du domaine privé (ratio patrimonii). Chaque carrière était dirigée par un intendant de l’empereur (procurator Cœsaris) qui avait sous ses ordres des employés de toute sorte, des secrétaires, des surveillans, des

  1. C’est encore l’infatigable père Bruzxa qui a recueilli ces inscriptions et les a expliquées dans son mémoire intitulé : Iscrizioni dei marmi grezzi.