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jouer, indigné des outrages dont on l’abreuvait, se décida à tuer le prince. Après beaucoup d’hésitations, on résolut d’exécuter le projet pendant les jeux palatins qui étaient donnés en l’honneur d’Auguste. Ces jeux se célébraient au bas de la colline, vers l’endroit où s’éleva plus tard l’arc de Titus. On y construisait un théâtre provisoire en planches, où la foule se pressait pendant plusieurs jours. Elle était ce jour-là plus nombreuse que jamais, car on devait donner le soir un spectacle étrange, une représentation des scènes de l’enfer par une troupe d’Égyptiens et d’Éthiopiens. Vers midi, l’empereur avait coutume de rentrer un moment dans son palais, pour y prendre un repas et s’y reposer ; c’est là que les conjurés l’attendaient. Il sortit du théâtre avec son oncle Claude et quelques amis, précédé par les soldats germains qui formaient sa garde ordinaire. Quand il eut dépassé la porte du Palatin, il laissa son cortège s’engager dans la rue qui menait au palais et se détourna pour suivre le cryptoportique : il voulait voir des enfans de grande famille qu’il avait fait venir d’Asie pour les jeux qu’il comptait donner au peuple. On les exerçait dans cet endroit retiré à chanter des hymnes et à danser la pyrrhique. Chéréa, qui se trouvait être le tribun de service, se précipita derrière lui ; il eut soin d’écarter les curieux et les courtisans, disant que l’empereur voulait être seul, et le suivit avec les conjurés. Puis, s’approchant de lui pendant qu’il parlait aux jeunes gens, il le frappa d’un coup d’épée à la tête. Caligula, qui n’était que blessé, se releva sans rien dire, cherchant à s’enfuir. Mais il fut aussitôt entouré par les complices de Chéréa, qui le frappèrent de trente coups de poignard. Au bruit, les soldats de la garde accoururent, et les conjurés, qui ne pouvaient plus revenir sur leurs pas, parce qu’ils auraient rencontré les officiers de l’empereur et les Germains qui venaient le venger, continuèrent à suivre le portique, jusqu’à l’endroit où se trouvait, dit Josèphe, la maison de Germanicus, et par là il leur fut aisé de s’échapper.

Il faut lire dans les historiens le récit du tumulte affreux qui suivit la mort de l’empereur. Les Germains, qui le regrettaient, tuaient tout ce qui se trouvait sur leur passage, autour du portique et du palais : innocens et coupables tombaient à la fois sous leurs coups. Pendant ce temps, le bruit de l’événement commençait à se répandre au théâtre. Personne n’osait y croire, quoique tout le monde le souhaitât, et ce qui prouve bien, dit Suétone, la terreur sous laquelle on vivait, c’est qu’on s’imagina que le prince faisait lui-même courir la nouvelle de sa mort pour avoir l’occasion de punir ceux qui auraient l’air d’en être contens. Les bruits les plus étranges circulaient ; on ne savait que faire, personne n’avait le courage de manifester ses sentimens ou de quitter sa place, quand arrivèrent les Germains, de plus en plus ivres de sang et de