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mes yeux de ce visage calme qui, sous un air de majesté sereine, semblait vouloir tempérer l’éclat de sa fortune ; mais il ne réussissait pas à cacher sa grandeur ; elle brillait malgré lui sur ses traits. En le voyant, les nations les plus éloignées, les hordes les plus barbares auraient reconnu leur maître ! » voilà des complimens qui paraissent un peu forts quand on songe qu’il s’agit de Domitien ; mais l’honneur que le prince avait fait à Stace était de ceux qui tournaient la tête aux poètes. Martial déclare que, si Jupiter et Domitien l’invitaient à dîner le même jour, il n’hésiterait pas ; il laisserait là le maître des dieux et s’en irait chez l’empereur.

De toutes ces grandes salles, nous n’avons plus aujourd’hui que des pavés de marbre, des bases de colonnes et quelques pans de murs ; le reste est détruit. Mais le témoignage des auteurs contemporains est suffisant pour nous donner quelque idée de ce que nous avons perdu. Il sont unanimes à célébrer les vastes proportions de l’édifice et à en décrire la hauteur. Ils disent, dans leur langage hyperbolique, « qu’on croirait voir, quand on le regarde, Pélion sur Ossa ; que ses voûtes percent l’éther et voient l’Olympe de plus près ; que c’est à peine si d’en bas les yeux en peuvent distinguer le toit, et que le faîte doré se confond avec l’éclat rayonnant des cieux. » Ils nous parlent de ce nombre infini de colonnes « qui seraient capables de supporter la voûte céleste pendant le repos d’Atlas, » ils énumèrent les marbres de toute nature qui sont entrés dans la décoration des murailles ; ils insistent même avec tant de complaisance sur ces pompeuses descriptions, que l’idée nous vient, sans qu’ils le veuillent, qu’il devait y avoir dans ces ornemens un peu de profusion et d’excès. On n’aimait plus la simplicité du temps de Domitien. Le goût du public et le talent des artistes étaient devenus moins sûrs ; on ne savait plus faire beau, on cherchait à faire riche : c’est l’habitude de tous les arts en décadence. Le prince surtout aimait avec passion ces magnificences déréglées ; un plaisant le comparait au roi Midas, qui changeait en or tout ce qu’il touchait.

Ce palais immense contient beaucoup d’autres salles moins importantes que celles que nous venons de décrire, mais on n’y a pas retrouvé tous ces appartemens intérieurs nécessaires à la vie privée. Aussi ne servait-il que pour les représentations officielles ; en réalité, les princes habitaient ailleurs. Leur demeure véritable paraît avoir été de tout temps la vieille maison de Tibère, qu’on avait fait réparer. Pour passer de cette maison au palais de Domitien sans traverser la place, on avait creusé une galerie souterraine qui existe encore et qui communique avec le cryptoportique dont j’ai parlé. De cette manière, la vie des empereurs était, pour ainsi dire, séparée en deux ; ils en passaient une partie, la moins agréable sans