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repos, et d’une terrasse d’où le regard embrasse le cirque entier. La vue dont on jouissait de là, le jour où se donnait une de ces grandes fêtes qui rassemblaient tout le peuple romain, devait être admirable. Cette vallée longue et resserrée qui s’étend entre le Palatin et l’Aventin est aujourd’hui l’un des quartiers les plus tristes et les plus pauvres de Rome. C’était alors un hippodrome immense, orné de colonnes, d’obélisques, de statues, entouré de gradins de marbre, sur lesquels, pendant les jeux publics, s’entassaient près de 400,000 curieux. Rien n’égalait l’animation de cette foule quand devaient courir des chevaux et des cochers aimés du public. Les spectateurs, dit Lactance, formaient le plus étrange des spectacles : on les voyait suivre avec passion tous les incidens de la course, gesticuler, crier, hurler, bondir sur leurs bancs ; chacun d’eux prenait parti pour une « faction » différente ; ils insultaient, ils applaudissaient les cochers, vêtus de vert ou de bleu, de blanc ou de rouge, qui tournaient autour de la spina. Depuis le moment où le magistrat qui présidait à la fête donnait le signal du départ en jetant un mouchoir blanc dans l’arène, jusqu’à celui où le char le plus heureux, après avoir parcouru une distance de 7 kilomètres 1/2, touchait le but, il s’élevait de toute cette assistance un bruit épouvantable qui s’entendait, dit-on, à plusieurs lieues de Rome. Les empereurs prenaient part à l’émotion commune. Ils avaient aussi leurs chevaux préférés, leurs cochers favoris, et ne souffraient pas volontiers qu’ils fussent vaincus. Je me figure que c’est là, dans cette loge impériale, qu’un hasard heureux nous a conservée, que se passa la scène étrange racontée par Hérodien. Commue on s’était permis de siffler un cocher de la faction bleue, que Caracalla favorisait, il donna l’ordre à ses gardes de punir les coupables. Les soldats se précipitèrent sur les gradins du cirque, et, pour ne pas prendre la peine de choisir, ils tuaient tous ceux qu’ils pouvaient atteindre. Ce fut une scène inexprimable de confusion et de massacre, dont l’empereur, qui de sa loge n’en perdait rien, dut être fort réjoui[1].

  1. Une autre partie du palais de Sévère était restée très célèbre : au bas de la colline, en face du Cælius, il avait fait bâtir, le long de la voie Triomphale, un portique à trois étages, qui s’appelait Septizonium. Il voulait en faire l’entrée principale du palais, mais le préfet de Rome, qui tenait sans doute aux anciennes habitudes, l’en empêcha en faisant placer la statue de l’empereur à l’endroit où aurait dû être la porte. Le Septizonium ne fut donc plus qu’un magnifique ornement qui ne servait à rien. Les malins, qui le voyaient placé en face du chemin par où l’on venait d’Afrique, prétendaient que Sévère avait voulu, en le construisant, frapper d’admiration ses compatriotes à leur arrivée. Le Septizonium avait eu la bonne fortune de traverser sans trop d’accident tout le moyen âge. Il était encore à peu près intact lorsqu’il plut au pape Sixte-Quint de le détruire et d’en employer les colonnes à quelque église qu’il restaurait : « La renaissance des arts, dit M. Dutert, fut le signal de la mutilation et de la dispersion des plus belles œuvres artistiques. » Les papes détruisirent souvent des monumens antiques que les Ostrogoths avaient réparés. N’est-ce pas Paul V qui démolit les restes admirables du temple de Pallas dans le forum de Nerva pour décorer la fontaine Pauline ? Piu Goto de’ Goti !