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complimens, parfaitement à l’aise dans ce nouveau rôle. Il ne s’agit que de deux enfans, mais tous les dédains sublimes, tout le noble désintéressement du génie, se révèlent déjà chez le petit improvisateur, tandis que toute la ruse, toute la rapacité, tous les vices de la future courtisane, existent en germe chez Gemma, indiqués par un acte, par un mot, qui toujours sont compatibles avec son âge et qui cependant font pressentir ce que sera la femme. — Bruno s’est lancé à leur recherche ; il les retrouve à Livourne.

Un de ces misérables qui exploitent la figure ou le talent des enfans abandonnés les y a conduits. Signa, déjà dégoûté de l’aventure, se jette dans les bras de son ami et consent avec joie à le suivre, pourvu qu’il promette de ne pas assommer Lippo, — ce qui du reste est déjà fait en partie ; — quant à Gemma, qui trouve toujours moyen de s’assurer ici ou là un bout de ruban, un jouet, un gâteau, elle n’entend pas renoncer aux avantages que lui a promis le recruteur d’enfans ; après une belle résistance, elle feint de suivre Bruno, mais pour lui échapper bientôt et cette fois rester introuvable.

La fuite de sa petite bien-aimée est le premier chagrin réel de Signa, qui est allé vivre sur les collines, dans la ferme de Bruno. Cette vie nouvelle lui semble être d’ailleurs, s’il la compare à celle qu’il menait chez Lippo, ce qu’est la liberté au prix de l’esclavage, le soleil au prix des tempêtes. Bruno travaille pour lui tandis qu’il étudie avec son maître Luigi Dini, ou qu’il s’entretient seul avec son rossignol de bois ; Bruno, qui, à la sueur de son front, est devenu propriétaire du sol dont il n’était d’abord que fermier, lui promet un bel héritage ; mais cet héritage pastoral, Signa ne s’en soucie pas. Il rêve d’aller entendre un opéra en ville, puis, à dix-sept ans. Il rêve de faire un opéra lui-même.

La soif de gloire, qui est inséparable des grands dons de l’esprit, enflamme son sang comme une fièvre. Bruno croit d’abord conjurer le mal en brisant ce violon qui a porté malheur, suppose-t-il, au pauvre insensé, puis il se repent, il lui semble que, du fond de sa tombe, Pippa l’implore, et, dans un élan de générosité, il vend la terre qu’il aime par-dessus tout au monde, après Signa, afin de donner à celui-ci le moyen de s’envoler vers les sphères supérieures, qu’il ne connaît ni ne comprend pour sa part. L’égoïste et paresseux Lippo s’engraissera, lui et les siens, sur ce sol fertilisé par son frère et dont il s’est rendu sournoisement acquéreur.

Jusque-là le roman marche à merveille, en dépit de ces répétitions inconcevables, répétitions de la même situation ou de la même remarque presque dans les mêmes termes, qui feraient croire en vérité que Ouida néglige de relire ce qu’elle écrit au courant de