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en ressentirent également les effets. Les particuliers s’en tirèrent par des liquidations désastreuses, l’état subit une telle diminution des recettes que, pour faire face aux services indispensables, il se trouva réduit aux expédiens. L’importation avait cessé, la douane ne donnait plus rien.

Quand sonna l’heure arrêtée depuis un an pour entreprendre l’expédition au désert, le désarroi des finances était au comble. On ne savait pas si l’on pourrait payer à jour fixe les intérêts de la dette, on devait à l’armée quatorze mois de solde, et ses fournisseurs de vivres refusaient de continuer à lui en fournir. Devant des difficultés aussi graves, il se manifesta dans l’opinion, et jusque dans les conseils du gouvernement, beaucoup d’hésitation à aller de l’avant. Il fut question, même à la Maison-Rose où siège le pouvoir exécutif, d’ajourner l’espérance de battre les Indiens chez eux. Ce n’eût guère été que le cinquième ou sixième projet du même genre dont on aurait, au moment décisif, remis la réalisation aux calendes grecques.

Ce n’est pas ainsi que l’entendait le docteur don Adolfo Alsina. Il avait promis d’assurer la sécurité de la frontière. Il eût trouvé peu honorable et peu politique que le ministre de la guerre éludât les engagemens pris par le candidat à la présidence. Le docteur Alsina n’est pas un ministre ordinaire, c’est-à-dire en définitive peu de chose dans un pays où les ministres ne sont que les auxiliaires et, pour ainsi parler, les commis du président de la république. En dépit des habitudes parlementaires en vigueur, on se serait difficilement habitué, chez ses amis aussi bien que parmi ses adversaires, à le considérer comme le docile exécuteur des volontés d’autrui et à le tenir quitte de toute initiative. Son importance comme chef de parti, l’influence décisive qu’il avait eue sur l’élection du président et la prompte répression de la révolte mitriste lui imposaient l’obligation d’apporter au ministère un programme personnel ; elles n’augmentaient pas cependant les attributions restreintes de sa charge et ne lui fournissaient pas les moyens de le réaliser : conjoncture délicate dont triomphaient ses ennemis, qui alarmait ses partisans, et, au dire des moins endurans d’entre eux, ne laissait pas de provoquer chez ses collègues un sentiment de curiosité maligne en présence de ces embarras de la popularité. Le docteur Alsina ne pouvait sortir de ce mauvais pas qu’à force de volonté. Il décida que l’expédition se ferait quand même. Ce n’était pas témérité, c’était hardiesse réfléchie. On manquait de bien des choses ; mais cette pénurie était rachetée par de précieuses compensations.

D’abord les opérations militaires qu’il s’agissait d’accomplir avaient été conçues dans un esprit sage et pratique. Elles pouvaient être exécutées par les troupes de ligne qui formaient la