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tentantes. Sans parler des troupes de chevreuils qui nous regardaient passer de loin avec une curiosité insolente, l’avant-garde faisait lever parfois une autruche de si près que notre meute partait comme l’éclair. Les chiens soutenaient un moment la poursuite, puis revenaient, ne se sentant pas encouragés, et sachant d’ailleurs par expérience combien il est facile dans la pampa de ne pouvoir retrouver même un petit corps d’armée.

Nous avions en effet une meute, nous en avions même deux, celle du bataillon et celle du régiment ; elles n’avaient pas été difficiles à former. Tous les chiens errans aboutissent, conduits par des affinités mystérieuses, aux campemens des soldats. Cette règle générale se confirme dans la prairie, où les chiens errans abondent, de beaux chiens à coupe de lévrier que les Indiens dressent à la chasse à courre. Quand un chien perdu a fait son entrée dans un bivouac, ses nouveaux camarades, après une initiation à coups de dents, l’affilient aux chiens du corps, confrérie compacte et jalouse, qui a sa franc-maçonnerie et des règlemens très hargneux. Il devient dès lors l’ardent adversaire des chiens voisins, de la meute rivale. Les chiens du régiment et ceux du bataillon formaient deux troupes ennemies. Chacune cheminait en tête du corps auquel elle appartenait. Si quelque étourdi se hasardait trop loin sur l’espace neutre qui les séparait, on fondait sur l’intrus en colonne serrée ; mais les siens ne l’abandonnaient pas, et couvraient sa retraite par un déploiement menaçant : après quoi, chacun reprenait son poste. La chasse même ne les rapprochait point. Les pièces qui se levaient sur la gauche étaient dédaignées par les chiens du régiment qui marchait à droite, et réciproquement. S’il s’en levait entre les deux, nos meutes se battaient au lieu de les poursuivre. Bien qu’il y ait dans le désert beaucoup de chiens nés en liberté et vivant à l’état sauvage, parfois en bandes, le chien de prairie, tel que l’ont décrit les explorateurs des savanes du nord, n’y existe point. La race n’a pas eu le temps de se former, et ils n’ont pas perdu l’aboiement. Il est digne de remarque pourtant que les chiens indiens aboient peu, et jamais avant de mordre. J’en ai un, pris tout jeune, très caressant et très fidèle, mais à qui l’éducation n’a pu enlever tout à fait cette habitude. Il a deux sortes de cris : l’aboiement des chiens ordinaires et un glapissement semblable à celui du renard. Quant à la direction oblique et farouche de leurs regards, c’est un effet de la défiance. Le mien, dont les prunelles sont de la couleur de son poil fauve, a les yeux les plus francs du monde, et justifie en cela beaucoup mieux que son louche homonyme son nom de Catriel, qui signifie œil-de-faucon.

Graves et bien alignés sur leurs haridelles, comme il convient à