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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/440

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force des usages. Quant aux officiers bornés et violens, et il s’en rencontrait plus d’un, ils devenaient de véritables fléaux. On a aujourd’hui supprimé ces horreurs. Il est défendu de torturer le soldat ; il a paru prématuré d’interdire de le frapper. L’autorité militaire craint de trop se désarmer en lâchant son bâton. Un officier peut encore battre ses hommes ; mais il est puni s’il les bat autrement qu’avec le plat de son sabre. Par une subtilité d’interprétation du code de l’honneur militaire, on admet que rien d’avilissant ne peut venir de l’épée.

Nous sommes dans un pays dont les lois sont égalitaires et le tempérament aristocratique. Les mœurs y jurent avec les institutions, qui sont les plus libérales de la terre ; mais cette constitution, vénérée de ceux-là même qui la violent, réagit à son tour sur les mœurs, les transforme et les achemine vers l’application sincère et pratique des principes qu’elle proclame. On est souvent surpris dans la république argentine de trouver tant d’arbitraire servant de correctif à tant de liberté. Quand on réfléchit aux origines de cette société et à son histoire, on ne s’étonne plus. On reconnaît que, si ce peuple naissant a mis son idéal politique au-dessus de ce que son organisation sociale semblait permettre, il tend du moins, d’un effort constant et ferme, à s’en rapprocher sans cesse. En ce qui concerne l’armée, le seul palliatif à un état de choses certainement fâcheux est aujourd’hui la distinction d’esprit d’officiers instruits et libéraux. Ces officiers-là se multiplient tous les jours dans ses rangs. Le remède radical, ce serait un mode de recrutement démocratique, confondant dans les corps de ligne toutes les classes de la société ; mais on en est encore loin. Revenons à la pampa.

Le coucher du soleil avait dans ces plaines une incomparable majesté. L’immensité de l’horizon, la pureté de l’atmosphère sous ces latitudes, les lents accords de la prière du soir devant le front des troupes rangées en bataille, tout contribuait à donner à ce moment du jour une solennité mélancolique. L’air que l’on jouait était la romance de la Rose dans l’opéra de Martha. Le choix peut paraître un peu profane, eh bien ! il eût été facile d’en faire de plus maladroit. Cette mélodie d’une poétique simplicité résumait bien les impressions qu’éveille dans l’âme l’aspect de ces océans de verdure lentement envahis par la nuit. Nous éprouvâmes un jour, le commandant Acevedo et moi, le désir de féliciter de cette inspiration heureuse le chef de musique du bataillon, un nègre de belle venue. Il savoura nos éloges et parut goûter nos divagations sur le charme pénétrant du crépuscule au désert. Il nous promit même de tâcher de les exprimer dans une composition musicale qu’il allait se mettre à écrire en souvenir de cette soirée. Il l’a écrite en effet,