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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/450

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leurs ossemens, transformés en combustible, ont suffi plus tard à cuire toutes les briques destinées aux casernes. Nous en étions là, quand les Indiens commencèrent à rassembler et à éloigner les chevaux qu’ils avaient placés dans la presqu’île. Nous devînmes attentifs. Une heure après, tout était parti. On ne voyait plus à l’horizon que les incendies qu’ils allumaient en se retirant. Il était évident que la division sud était en marche. La nuit suivante, nous apercevions ses fusées de signal, et nous y répondions avec une satisfaction bien naturelle. Un détail à relever, c’est que les forces qui nous tenaient bloqués n’avaient eu que par hasard connaissance de ses mouvemens ; elles ne se gardaient pas de ce côté : c’était un Indien en quête d’un cheval égaré qui l’avait aperçue. Le docteur Alsina avait poussé fiévreusement les derniers préparatifs afin de ne pas nous laisser dans l’embarras. Ne recevant plus de courriers de nous depuis l’occupation de Guamini, il devinait bien que nous avions sur les bras le ban et l’arrière-ban du désert. La route de Carhué ne passe pas à plus de trois lieues de Guamini. Je ne manquai pas d’aller visiter au passage la division sud, ne fût-ce que pour me dégourdir et pour me réjouir les yeux à la vue de chevaux gras et brillans. Il me semblait qu’il n’en existait plus au monde. Le colonel Levalle était campé au point même où devait s’opérer sa jonction avec la division côte sud, et, comme je mettais pied à terre, une marche militaire, éclatant)au loin, annonça que cette dernière arrivait.

La veille, un courrier venu du nord nous avait appris que de ce côté on avait solidement occupé les points stratégiques, et que la construction des fortins était commencée. Le plan si laborieusement poursuivi, et dont le succès avait été un moment remis en question par la brusque agression des Indiens, se développait avec régularité. La fameuse expédition au désert, si longtemps traitée de folie, était réalisée. Aussi tout le monde était-il d’une humeur charmante, depuis le ministre de la guerre, qui voyait s’accomplir un de ses rêves favoris, jusqu’au plus humble de ses collaborateurs. Ces gens triomphans et bien montés s’apitoyaient, non sans une pointe d’ironie, sur nos épreuves. Je profitai de ces dispositions pour me faire donner de droite et de gauche quatre bons chevaux. On en avait, on en faisait largesse. C’est tout le caractère argentin.

La joie éclatait bien mieux encore sur toutes les physionomies à Carhué, où je fus mandé le surlendemain, et qui, sous le rapport des eaux et des pâturages, était à la hauteur de sa réputation. Je retrouvai là une seconde édition de nos enthousiasmes à la prise de possession de Guamini. Je m’étais rendu à Carhué à travers champs sous la conduite d’un Indien, qui m’égara. Nous errâmes longtemps