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envoyé par Raoul Rigault, il était muni d’un ordre d’extraire et de fusiller les gendarmes détenus à la maison de justice ; par bonheur, c’était un ordre collectif, sans indication de nombre ni de noms. On a souvent plaisanté des formules minutieuses et précises de l’administration française ; faute de les connaître et de les avoir employées, afin de mieux agir « révolutionnairement, » les hommes de la commune ont permis de sauver plus d’une victime désignée. M. Durlin fit preuve de beaucoup de sang-froid ; la fusillade qu’il entendait résonner depuis vingt-quatre heures lui faisait espérer qu’il aurait le temps de sauver ces malheureux. Il ne se trompait pas, et son cœur courageux l’avait bien inspiré. Il prit l’ordre des mains du mandataire de Raoul Rigault et lui dit négligemment : « Nous n’avons plus de gendarmes ici. » Le fédéré galonné parut fort surpris, « Il y a erreur, ajouta M. Durlin ; les gendarmes ont été transférés. — Où et quand ? demanda l’officier. — Voyez dans les bureaux de la préfecture, répliqua M. Durlin. » Le fédéré s’éloigna, revint au bout d’une demi-heure : « Nous ne trouvons rien ; les gendarmes doivent être ici. — Non, reprit le greffier ; du reste je dois avoir l’ordre, je vais le chercher ; pendant ce temps visitez la prison ; si vous trouvez un seul des hommes que vous demandez, je ferai les formalités de l’extraction et je vous le livrerai. » Puis, s’adressant au surveillant Génin, qui avait immédiatement compris de quoi il s’agissait, il dit : « Ouvrez toutes les cellules afin que le citoyen délégué puisse se convaincre qu’elles ne renferment aucun soldat. » Le délégué fit consciencieusement son devoir, il inspecta les cabanons les uns après les autres, y vit fort peu de détenus : un garçon d’hôtel, deux gardiens du passage vi Vienne, quelques autres pauvres diables amenés dans la matinée pour n’avoir pas été désespérés de l’entrée des « Versaillais, » mais il n’y aperçut pas un gendarme. On se garda bien de le conduire au « quartier des cochers, » dont il ignorait l’existence. Le délégué était stupéfait, mais il était bien forcé de s’en rapporter à la constatation qu’il venait de faire lui-même. « Mais les gendarmes ? où sont-ils donc ? demanda-t-il en rentrant au greffe. — Il y a trois ou quatre jours, je ne me rappelle plus au juste, dit le surveillant Rambaud, qu’on les a emballés pour la Roquette. — voici l’ordre de transfèrement, » dit M. Durlin, qui passa au délégué le mandat que l’on avait mis à exécution le 19 et le 20, en transportant les premiers gendarmes amenés à la Conciergerie. Le délégué le lut : « C’est vrai, on s’est trompé. — Il se retira en saluant : — Fâché de vous avoir dérangé ! » Le directeur Deville assistait à cette scène, il savait à quoi s’en tenir et ne souffla mot ; une parole de lui eût livré les gendarmes et fait fusiller M. Durlin et les deux surveillans, Génin et Rambaud, qui, au péril de leur vie, s’étaient associés à sa