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officielle. L’ancienne majorité parlementaire, devenue opposition, ne reste point évidemment inactive de son côté ; elle multiplie ses propagandes, elle forme des comités de jurisconsultes pour diriger la résistance légale à l’arbitraire des préfets, elle s’efforce de déjouer les tentatives d’intimidation et de maintenir son armée. L’ancienne majorité parlementaire a un plan de campagne tout simple : elle propose sans distinction d’aucune sorte la réélection des 363 députés qui ont voté l’ordre du jour contre le ministère du 17 mai. En un mot, sur tous les points la bataille se dessine et se prépare, les troupes se forment, toutes les armes vont sortir du fourreau, sans parler des invectives, des violences accusatrices et des menaces qui sont le prélude bruyant et confus du choc définitif. Il ne faut pas s’y tromper, c’est une lutte bien autrement grave que celle du 20 février 1876, parce que cette fois elle remet tout en question, parce qu’elle rallume les animosités implacables et les ambitions impatientes des partis autour d’une fragile stabilité péniblement conquise, parce que le gouvernement lui-même s’est engagé presqu’au hasard dans une redoutable partie dont il n’est plus maître, ignorant complètement ce qui peut sortir de sa défaite ou de sa victoire. Allons au fond des choses.

Toutes les situations, tous les régimes ont une politique qui découle naturellement des institutions, de l’état du pays, des nécessités ou des possibilités du moment. Ce qu’il y a d’étrange, et on pourrait presque dire de poignant dans cette situation créée le 16 mai, c’est qu’elle n’a pas et ne peut pas avoir une politique saisissable, c’est qu’avec des intentions que nous ne suspectons pas, pour des intérêts dignes d’être sauvegardés s’ils étaient réellement en péril, on s’est jeté tête baissée dans une aventure dont les suites échappent à toute direction comme à toute prévision. Assurément dans d’autres circonstances ou dans d’autres conditions ce qui se passe depuis deux mois n’aurait rien d’extraordinaire. Un conflit éclate entre les pouvoirs publics. Le gouvernement, armé d’un droit de dissolution qu’il ne peut exercer que d’accord avec le sénat, obtient l’assentiment qui lui est nécessaire, et il dissout la chambre des députés. Le conflit est porté devant le pays, qui seul, par son vote, peut trancher le différend. Jusque-là il n’y a rien que de simple, tout est régulier, il ne reste plus qu’à attendre le vote qui sera le dénoûment légal d’une crise momentanée. Oui, c’est assez simple, à la condition toutefois que la vérité reste dans la situation comme elle est dans les intentions, flous n’en doutons pas, à la condition que tout ne soit pas confondu, dénaturé, poussé à bout, et que dans une épreuve de ce genre il n’y ait que le jeu naturel et libre des institutions qui sont après tout la loi du pays. Qu’arrive-t-il au contraire lorsque du premier coup tout est obscurci et faussé, lorsqu’une crise née d’une impatience de pouvoir se déroule à travers les réticences et les perfides