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la manière la plus absolue, Olimpia s’attacha avec la plus grande vigilance à déguiser son empire, mais elle ne réussit pas si bien que tout ne finît par transpirer au dehors. Le pontife étant constamment malade, la signora s’installa du matin au soir à son chevet, sous prétexte de lui prodiguer ses soins, et elle ne laissa rien arriver jusqu’à lui sans qu’elle en fût informée dans les plus menus détails. Aucune audience n’était accordée hors de sa présence; elle assistait même, cachée derrière un rideau, à toutes les entrevues des ministres étrangers avec le pape. Peu à peu son influence devint si considérable que les souverains lui envoyaient de riches présens pour obtenir sa faveur, que les ambassadeurs, à leur arrivée à Rome, ne manquaient pas de lui rendre visite, et que son portrait, comme celui d’une reine, figurait dans tous les palais des cardinaux[1].

S’il faut ajouter foi à quelques graves historiens qui, sur ce point, semblent d’accord avec les pamphlets de l’époque et les dialogues de Pasquin et de Marforio, la signora, qui avait été fort belle dans sa jeunesse, avait inspiré à Innocent, alors qu’il était simple cardinal, une passion aussi vive que durable. Ce qu’il y a de certain, c’est qu’il avait pour elle une affection profonde, d’une vivacité si étrange qu’elle lui attira plus d’une fois les représentations des jésuites et de l’empereur[2], et qu’elle servait incessamment de matière aux propos malins des habitans de Rome. Chansons, traits mordans, satires, pasquinades se croisaient du matin au soir et couraient de la boutique des marchands jusque dans les couvens et le consistoire. On affichait la nuit sur la façade des églises les inscriptions les plus risquées, les plus audacieuses, dans le goût de celle-ci : Olimpia primus, pontifex maximus. — Olimpia prima papessa. On frappait clandestinement une médaille satirique, représentant d’un côté dona Olimpia, la tiare en tête, les clés de saint Pierre à la main, de l’autre le pape, ayant les cheveux entrelacés et ajustés comme une femme, tenant d’une main une quenouille et de l’autre un fuseau. Ou bien encore le bruit courait dans Rome que l’on avait joué devant Cromwell une comédie intitulée : the Mariage of the Pope, dans laquelle figuraient en grands costumes Innocent et Olimpia, les deux principaux personnages, et qui se terminait par un ballet dansé par des moines et des nonnes. Cette comédie n’exista jamais, il est vrai, que dans l’imagination des Romains ; mais cette invention nous donne la mesure des excès

  1. Ranke, Histoire de la papauté au seizième et au dix-septième siècle.
  2. Vita di Alessandro VII, par le cardinal Sforza Pallavicino, qui avait été membre de la compagnie de Jésus. « Olimpia Maidalchici, dit-il, cognata favoritissima d’Innocenzo e per le cui maai in Roma passavano assaissime cose. »