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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/58

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devant ce charnier, durant un siècle s’il le faut ! Ce sera ton phare lumineux pour guider l’humanité jusqu’à l’heure suprême de l’association de toutes les sublimes harmonies ![1] »

Il est impossible d’imaginer sérieusement que l’on ait un seul instant ajouté foi à de pareilles turlupinades, bonnes à faire peur aux petits enfans, et cependant on fit semblant d’y croire afin de donner un prétexte, sinon un motif, à la haine farouche que l’on voulait exciter contre tout ce qui touchait de près ou de loin à la religion catholique. On méditait déjà l’assassinat des prêtres, et il fallait ne pas s’exposer à trouver des instrumens indociles au jour du crime. Aussi il n’est calomnie monstrueuse et bête que l’on n’ait répandue dans le monde de la fédération, monde aviné, crédule, honteusement ignorant et fanatique. On ne se contentait pas de piller les églises, d’y installer les clubs où l’on dégorgeait les plus violentes inepties, d’arrêter les prêtres, les religieux, les religieuses, de les vilipender, de les injurier, de les incarcérer ; on inventait sur ces pauvres gens des contes à dormir debout. On avait jeté à la Conciergerie et de là à Mazas les pères de Picpus ; cela ne suffisait pas : on « empoigna » en bloc toutes les sœurs de la congrégation des Sacrés-Cœurs, celles que l’on a surnommées les Dames-Blanches. Leur maison, bien connue de la bourgeoisie parisienne, est à la fois maison d’éducation, de refuge et de santé. Trois femmes atteintes d’aliénation mentale y avaient été recueillies ; ces trois malheureuses folles devinrent immédiatement l’objet de l’intérêt de toute la commune ; on parla des « cages » où elles étaient enfermées, des « chaînes » qui les liaient ; on en fit des « victimes cloîtrées, » comme dans le drame de Monvel. Des lits orthopédiques, destinés au traitement des jeunes filles dont la taille était déviée et semblables à tous ceux que l’on voit chez les marchands d’appareils chirurgicaux, furent les instrumens de torture à l’aide desquels on matait les récalcitrantes ; enfin on alla jusqu’à prétendre que l’on avait découvert dans l’appartement de la supérieure un livre de médecine « illégale. » Dès lors tout le Paris fédéré ne parla que des mystères de Picpus. On peut répéter avec sœur Marie-Éléonore : « C’est vraiment bien extraordinaire ! »

Le 5 mai, toute la communauté des religieuses des Sacrés-Cœurs, composée de quatre-vingt-onze personnes, fut conduite à Saint-Lazare. Les sœurs furent d’abord mises au secret ; mais, sur

  1. Ce Leroudier fut le metteur en œuvre de l’exposition théâtrale des squelettes de Saint-Laurent. Dans une lettre adressée par lui, le 21 avril 1871, à Raoul Rigault, il dit : « Une notice habile devrait être écrite pour faire sensation dans le public, et des dessins explicatifs ajoutés dans la même intention. Cette aventure de l’église Saint-Laurent, bien comprise, peut valoir plusieurs siècles d’étude et de progrès pour toute l’humanité. — Signé : le président de la dixième légion : LEROUDIER. »