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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/582

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il put comprendre que les fédérés faisaient une guerre implacable et craindre de terribles représailles de la part des hommes entre les mains desquels il se trouvait ; il dit à M. Claude : — Pensez à moi et tâchez de me sauver ! — M. Claude le lui promit et n’a pas manqué à sa parole. Caullet fut traduit en cour d’assises le 9 octobre 1871 pour « arrestations et séquestrations arbitraires, immixtions dans des fonctions publiques. » Il s’entendit condamner à cinq ans de réclusion. La loi l’exigeait, et on dut lui donner satisfaction ; mais les témoins avaient à l’unanimité déposé en faveur de ce malheureux. Le recours en grâce fut appuyé par M. le conseiller Demazes, qui avait présidé l’affaire, et cette peine un peu lourde fut commuée en trois années d’emprisonnement. Au cours des débats, une parole fut prononcée qui doit trouver place ici. M. Claude déposant avait dit : — À la prison, j’ai connu la famille de Caullet, sa femme et ses enfans. — Le président lui demanda : — Avez-vous revu cette famille ? — Oui. — Pourquoi ? — Pour acquitter une dette de reconnaissance ; la famille de Caullet est malheureuse, j’ai dû lui porter secours. — Le président se tourna alors vers les jurés et leur dit : — Messieurs, ce témoin est jugé par vous[1] !


IV. — LES DOMINICAINS d’ARCUEIL.

Comment se fait-il que la prison de la Santé ait été épargnée, et que les otages qu’elle contenait n’aient point été passés par les armes ? Ferré a cru que l’on avait exécuté ses ordres, et Serizier était persuadé que la maison avait été incendiée. De la Butte-aux-Cailles, où il avait rejoint son ami Wrobleski, il avait fait diriger sur la prison le feu de toute son artillerie : un obus enflamma un chantier de bois placé auprès de la Santé ; à distance, Serizier s’imagina que celle-ci brûlait, fit changer l’objectif des pièces et sauva ainsi bien malgré lui la maison dont il avait juré la perte. Il n’était point à bout de crimes, et avant que la cause de la commune eût succombé dans l’avenue d’Italie, il put donner ample satisfaction aux

  1. Le chef du service de la sûreté pendant la commune fut Philippe-Auguste Cattelain, dessinateur de mérite, qui exerça sa fonction avec une douceur remarquable, et, plus d’une fois, profita de sa situation pour sauver des innocens ou des persécutés. Arrêté et enfermé à Mazas, il raconte une entrevue qu’il eut avec M. Claude dans des termes que nous reproduisons, car ils font l’éloge des deux personnages. « Hier, écrit Cattelain, M. Claude est venu me voir, m’apportant des consolations, des espérances et de l’argent ; décidément, il y a encore quelques hommes de cœur sur terre. Cet homme qui, pendant que je tenais son emploi, gémissait dans une autre prison et n’a échappé à la mort que par miracle, n’a pas une goutte de fiel. Que ne l’ai-je connu plus tôt ! je ne me serais pas rebuté de demander sa grâce, et, par un de ces efforts d’énergie dont j’ai donné quelques preuves pendant l’insurrection, j’aurais mis un honnête homme de plus en liberté. »