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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/60

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fédérés appartenant au 228e bataillon forcèrent l’entrée de la prison et exigèrent que Mouton leur rendît, sans plus tarder, leur cantinière, qui était sous les verrous depuis trois jours. Mouton parlementa, expliqua qu’il n’était que pouvoir exécutif et qu’il lui était absolument interdit par « les lois » de lever un écrou sans mandat ; mais il proposa aux fédérés d’user de son influence sur le procureur de la commune afin d’obtenir la mise en liberté demandée. Il écrivit donc : Citoyen Rigault, si tu pouvais prendre en considération la demande de plusieurs citoyens qui réclame leur cantinière et leur rendre, tu ferais acte de justice ; salut et égalité. Le directeur, C. MOUTON. — Munis de cette précieuse lettre, les fédérés se retirèrent ; le groupe principal resta dans le poste d’entrée à fraterniser avec les camarades, et leurs messagers partirent pour trouver Raoul Rigault, qui n’était ni au Palais de Justice, ni à la préfecture, ni à l’Hôtel de ville, ni au théâtre des Délassemens-Comiques, qu’il honorait souvent de sa présence. Où on le découvrit, l’ordre ci-joint, écrit au crayon sur le revers de la lettre de Mouton, le dit assez : Ordre est donné au directeur de Saint-Lazare de mettre en liberté la citoyenne X…, cantinière du 228e bataillon. Procureur général de la commune, RAOUL RIGAULT. — Fait au 142e bataillon, à Montmartre, ce jourd’hui 22 mai 1871. — Cet ordre, qui fut immédiatement exécuté, est un des derniers que Raoul Rigault ait donnés ; l’écriture en est mince, rapide et un peu heurtée.

Le 23, Mouton, dès la matinée, apparut sous un costume nouveau ; sa perspicacité lui avait fait comprendre que l’heure de jouer au soldat et au directeur était passée, et qu’il était humain en même temps que sage de devenir un chef d’ambulance. Croix de Genève au brassard, croix de Genève au bonnet, plus de ceinture rouge, plus de képi galonné ; on n’était qu’un infirmier ouvrant la prison et son cœur à toutes les infortunes. Le rez-de-chaussée de Saint-Lazare fut promptement organisé en ambulance ; les lits, ne manquaient pas, ni les draps, ni le vieux linge ; on n’avait qu’à puiser au magasin central qui est annexé à la maison. Mouton s’empressait et recevait les blessés ; des surveillantes, des filles de service improvisées infirmières, pansaient les plaies et ne se ménageaient pas. Mouton était bien persuadé que la commune était à l’agonie, et, autour de lui, on semblait partager sa conviction. Deux ou trois obus, venus on ne sait d’où, écornèrent la toiture et ne firent pas trop de dégâts ; les détenues criaient de peur dans les quartiers ; les Dames-Blanches, agenouillées dans leur grand dortoir, priaient à haute voix. On ne manquait heureusement pas de vivres : la boulangerie des prisons est à Saint-Lazare même, et le matin encore on avait pu « cuire. »

Le lendemain, mercredi 24 mai, dans la matinée, la fusillade,