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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/612

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provoquer les chercheurs : les Notices instructives de M. Despois en seraient la preuve. Mais enfin ces sortes de détails appartiennent plutôt à l’histoire littéraire du siècle qu’à l’histoire même de Molière. Ils ont leur intérêt, mais cet intérêt est, en un certain sens, secondaire. On serait tenté d’en dire autant de ces détails plus qu’intimes qui regardent la vie privée de Molière. Les indiscrétions posthumes sont à la mode aujourd’hui. L’histoire certainement en a pu faire son profit quelquefois, mais il serait temps de poser des bornes à cette manie de troubler le repos des morts illustres et de confesser impitoyablement les grands hommes. Il faudrait prendre son parti de laisser dans l’ombre certains côtés de leur vie mortelle. Pascal disait que « le froid est agréable pour se chauffer : » de même l’ombre est utile, amassée sur quelques points, pour mieux éclairer les autres. Pense-t-on qu’il soit utile de livrer des batailles pour savoir si la femme de Molière, Armande Béjart, est la fille ou la sœur de Madeleine, et d’illustrer de quelque anecdote nouvelle le chapitre des infortunes conjugales de Molière? « Un voile, dit M. Loiseleur, qu’aucune main ne soulèvera jamais complètement couvre l’origine de la jeune femme que Molière épousa le 29 février 1662. » Alors laissons-le retomber! car quelle est notre fureur enfin de vouloir démontrer que Molière épousa la fille de sa vieille maîtresse? Et c’est bien en ces termes que la question se pose aujourd’hui, puisque les actes authentiques donnent tous à la femme de Molière la qualité de sœur de Madeleine Béjart. Supposerons-nous donc avec M. Bazin que Molière, pour dissimuler aux yeux de la famille Pocquelin la bâtardise de la femme qu’il épousait, et sans doute avec lui son honnête homme de père, se soient rendus complices d’un faux en écriture authentique? Repasserons-nous avec M. Fournier l’histoire des galanteries de Madeleine Béjart et chercherons-nous à débrouiller une paternité confuse entre M. de Modène, l’amant en titre, tel cadet de Gascogne ou de Languedoc, l’amant du jour, et peut-être Molière lui-même, dont le premier voyage à Narbonne s’accorderait avec l’époque probable de la conception d’Armande? ou bien, avec M. Loiseleur, d’acte en acte, remonterons-nous jusqu’à un premier faux que tous les autres n’auraient eu pour objet que de dissimuler, et remettrons-nous en scène la mère complaisante des Béjart, cette odieuse vieille femme qui vit si grassement du déshonneur de ses filles? Ah! si Molière s’est trouvé mêlé à de semblables misères et de pareilles hontes, épargnons-lui-en du moins le souvenir, et puisque nous ne pouvons plus aujourd’hui l’oublier, tâchons du moins, affectons de l’ignorer. On se révolte, et l’on a raison, à la seule pensée que Molière ait épousé_ une Armande qui risquait d’être sa propre fille, mais,