Villiers et la Vengeance des Marquis, Boursault et le Portrait du Peintre, Montfleury et l’Impromptu de l’hôtel de Condé, Le Boulanger de Chalussay et son Élomire hypocondre ; voici même l’insulte et l’outrage, Molière dans Héraclius accueilli par des pommes cuites, et ces mousquetaires qui troublent la représentation de Psyché par leurs « hurlemens, chansons dérisionnaires et frappemens de pieds dans le parterre, » et, du milieu de ce même parterre, ce gros de laquais qui jette sur la scène où Molière joue l’Amour médecin un « tuyau de pipe à fumer[1], » et voici maintenant les vrais juges, Boileau qui lui reproche « d’avoir à Térence allié Tabarin, » Bayle, qui le reprend sur ses « barbarismes, » La Bruyère qui juge « qu’il ne lui a manqué que d’éviter le jargon, » Fénelon, qui préfère la prose de l’Avare aux vers du Misanthrope, où il relève cette « multitude de métaphores qui approchent du galimatias. » Joignez à tout cela le demi-succès du Misanthrope, l’insuccès certain de l’Avare, la cour, qui n’ose pas approuver le Bourgeois gentilhomme avant que Louis XIV en ait donné le signal ; n’est-ce pas de quoi prétendre que les contemporains de Molière ont ignoré le prix de son génie ? Mais veut-on démontrer le contraire ? Il n’est rien de plus aisé. Les critiques elles-mêmes ne sont-elles pas un hommage indirect que rend au génie la médiocrité impuissante ? L’envie, disaient les anciens, est comme la foudre, qui ne tombe que sur les hauteurs. Des laquais égarés au parterre et vingt-cinq mousquetaires pris de vin ne sont pas le public. Quelques erreurs n’empêchent pas que, dès les Précieuses ridicules, la foule, la vraie foule, celle qui se laisse « bonnement aller aux choses qui la prennent par les entrailles, » n’ait applaudi, soutenu, consolé, vengé Molière. N’avons-nous pas d’ailleurs le témoignage de Mme de Sévigné ? le témoignage de Bussy-Rabutin ? l’éloge convaincu de l’honnête Loret et du naïf Chappuzeau ? « Il sut si bien prendre le goût du siècle et s’accommoder de sorte à la cour et à la ville qu’il eut l’approbation universelle de côté et d’autre, et les merveilleux ouvrages qu’il a faits depuis, en vers et en prose, ont porté sa gloire au plus haut degré. La postérité lui sera redevable avec nous du secret qu’il a trouvé de la bonne comédie, dans laquelle chacun tombe d’accord qu’il a excellé sur tous les anciens comiques et sur tous ceux de notre temps. » Ne sont-ce pas là des louanges bien senties, et Chappuzeau, dès 1674, ne rend-il pas ici pleine justice à Molière ? Qui ne connaît encore et qui n’a présens à la mémoire les beaux vers de Boileau :
Après qu’un peu de terre obtenu par prière…
Ou l’éloquente épitaphe de La Fontaine :
- ↑ Émile Campardon. Documens inédits sur Molière.