d’emprisonnement qu’une maladrerie ; pour les malfaiteurs, elle est une école de perversité, pour les détenus politiques elle n’est qu’humiliante, pour l’administration elle est un coûteux embarras ; elle a droit à la destruction, il faut espérer qu’on ne la lui refusera pas.
Elle fut peu utilisée par la commune, mais elle n’en fut pas moins souillée par un horrible forfait. Le 22 mars, trois gendarmes, arrêtés le matin à la caserne des Célestins, furent amenés à la prison, par ordre du commandant de place de l’état-major général et écroués sous les noms d’Auguste Bouzon, Léon Capdevielle et Dominique Pacotte ; on les mit, on les laissa ensemble pendant toute la durée de leur détention ; qui devait se terminer d’une façon sinistre. M. Lassalle, directeur régulier, n’avait point quitté la maison ; le 23 mars, à huit heures du matin, son successeur, muni d’un ordre du comité central, se présenta et prit possession après avoir donné reçu d’une somme de 2,030 francs qui se trouvait dans la caisse ; ce successeur n’était autre qu’Augustin Ranvier, commissionnaire en vins, lieutenant, pendant le siège, au 122e bataillon. Il avait une quarantaine d’années et était marié avec une femme beaucoup plus âgée que lui, dont il était séparé. Sainte-Pélagie, ou mieux Pélagie[1], comme l’on disait alors, pouvait, pendant la période insurrectionnelle, continuer à être la prison politique par excellence, on devait donc la placer sous les ordres d’un homme sûr, offrant des garanties sérieuses et dans lequel on pût avoir une confiance sans limite ; il fallait en outre qu’il fût sans préjugés, car on pouvait avoir à en exiger des services d’une nature très délicate, tels que meurtres, assassinats et autres menues broutilles gouvernementales familières aux hébertistes. Le choix était judicieux et prouvait de la perspicacité. Le directeur avait été indiqué par un haut personnage de la coterie révolutionnaire quand même, par un futur membre de la commune et du comité de salut public, brutal, envieux, ignare et féroce, par Gabriel Ranvier, qui était son frère. Comme on devait, avant tout, détruire les abus du népotisme, Augustin avait été immédiatement pourvu. Fréquentant assidûment Gabriel, il avait su se pénétrer de la haine sociale dont celui-ci était dévoré. Ce Gabriel Ranvier a pesé assez lourdement sur Paris pendant deux mois pour qu’il ne soit pas superflu d’en dire quelques mots, d’autant plus qu’il représente un type très commun dans toutes les révolutions et dans toutes les conspirations menées sous le huis-clos des cabarets et des sociétés secrètes.
Il avait essayé d’être peintre, avait brossé quelques paysages,
- ↑ On renchérissait encore ; un nigaud, nommé toussaint, qualifié de sous-chef d’état-major à la délégation de la guerre, écrit au directeur de la citoyenne Pélagie ; j’ai la lettre sous les yeux.