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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/636

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point de vue religieux, parmi les pays où le vent du siècle a fait le plus pleinement sentir ses effets de sécheresse. Cet esprit de laïcisme que nos radicaux s’efforcent avec tant de chaleur de répandre parmi nous, les immigrans l’ont apporté en Australie, et il s’y est épanoui sous la forme d’une neutralité religieuse singulièrement hostile à tout pouvoir ecclésiastique. M. Trollope trouva le parlement de l’Australie du sud en proie à un émoi extraordinaire à propos d’un misérable droit de préséance à maintenir ou à retirer à l’évêque anglican, et il fut obligé de reconnaître, tout bon fils de l’église établie d’Angleterre qu’il est, que l’idée d’accorder une prééminence quelconque à une forme d’église plutôt qu’à une autre était absolument antipathique au tempérament australien. Le même esprit, mais encore plus accentué peut-être, prévaut dans la Nouvelle-Zélande, en sorte qu’un des rêves les plus audacieux de l’agitation chartiste d’il y a trente ans, l’abolition de l’église établie comme partie essentielle de la constitution, s’est trouvé à peu près réalisé dans ces colonies des antipodes par le seul fait du déplacement d’un certain nombre d’enfans du siècle.

Que la littérature occupe une place encore moins importante que la politique et la religion dans les préoccupations australiennes, le livre de M. Trollope est là pour le prouver. Longtemps nous avons désespéré de trouver dans cet ouvrage écrit par un littérateur de profession une ligne ayant trait à un sujet littéraire, lorsque enfin nous y avons rencontré la page suivante que nous voulons traduire non-seulement pour son intérêt, mais encore par ce qu’elle est unique de son espèce sur plus de mille :


« Avant de partir d’Angleterre, un de mes amis m’avait mis dans la main un volume de ballades qu’on lui avait envoyé d’Australie, intitulé Bush Ballads or Gallopping Rhymes. Il me dit que l’auteur en avait été un jeune gentleman écossais qui avait émigré à ses débuts dans la vie et n’avait pas bien tourné. Il s’était adonné à une vie de sport, puis il était tombé dans une profonde mélancolie, et il était mort. Je lus ces ballades, et je fus singulièrement frappé de leur énergie. Il était évident que l’auteur avait vécu hors du monde littéraire, et qu’il avait manqué de ce soin et s’était épargné ce travail que produisent la critique et l’étude et qui sont nécessaires au fini d’une œuvre; mais quant au génie de l’homme, il n’y avait pas à en douter. Une de ces ballades, intitulée Britomarte, suffisait à elle seule pour lui mériter le nom de poète. Je découvris qu’il avait vécu dans ce voisinage, près du mont Gambier, et qu’il avait été très aimé de nombreux amis. Il fit partie pendant un certain temps du parlement de l’Australie du sud, mais la besogne parlementaire n’avait pas convenu à ses goûts. Il aimait à monter les pur-sang et se plaisait à écrire sur les chevaux et les courses. Dans les traces