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Page:Revue des Deux Mondes - 1877 - tome 22.djvu/663

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presque identiques, et c’est l’amour que nous avons pour l’existence qui nous fait envisager avec tant d’épouvante, tant de dégoût, tout ce qui concerne la mort. La vue d’un cadavre est un spectacle repoussant qui nous remplit d’un vague effroi. Un naturaliste philosophe dont le nom m’échappe, peut-être Ch. Darwin, raconte qu’il allait souvent au bord d’une rivière, à un endroit où on retirait quelquefois des noyés, et qu’il cherchait à voir les sentimens éprouvés par les jeunes enfans jouant sur la rive à la vue des cadavres qu’on retirait de l’eau. Or chez les plus jeunes, qui n’ont pas encore compris ce qu’est la mort, il n’y avait que de l’indifférence. Au contraire ceux qui étaient plus âgés semblaient se détourner avec une sorte de répulsion. En tout cas, pour les adultes, un cadavre est toujours un odieux spectacle. Bientôt, à mesure que la vie s’éloigne, la putréfaction s’empare de ce corps inerte, et les gaz qui se dégagent des liquides en putréfaction répandent une odeur fétide; mais pourquoi cette odeur est-elle fétide? En somme, la fétidité n’existe pas par elle-même. Suivant l’expression des philosophes, c’est un fait subjectif et qui n’a aucune réalité objective : ce sont nos organes qui sont disposés de telle sorte que les matières corrompues ont sur eux une action spéciale, nauséeuse, écœurante. On pourrait concevoir que leur action fût toute différente, cela ne changerait en rien les propriétés chimiques et physiques de ces corps. Ainsi, de même que précédemment pour les alcaloïdes, l’amertume, de même pour les gaz de la putréfaction, la fétidité, dépendent de nous-mêmes, de la structure de nos organes, soit des nerfs, soit des centres nerveux. En poursuivant la même comparaison, nous verrons qu’il faut reconnaître que cette sensibilité de nos organes olfactifs aux gaz fétides a la même origine que la sensibilité gustative de la langue à l’amertume des alcaloïdes. La mort est absolument antipathique à la nature des êtres vivans, et les êtres vivans éprouvent du dégoût pour tout ce qui est la mort ou la conséquence de la mort. Un cadavre fétide, des matières animales corrompues et putréfiées, les gaz de la décomposition cadavérique, provoquent un sentiment d’horreur et de dégoût invincibles contre lequel tous les raisonnemens du monde seraient impuissans à lutter.

Il faut remarquer aussi que la plupart du temps ces matières putréfiées sont nuisibles à l’organisme. Le meilleur moyen, si ce n’est le seul, pour donner expérimentalement la fièvre à des animaux consiste à leur faire des injections de liquides putréfiés. Ce sont les matières animales ou végétales décomposées qui sont l’origine des miasmes et de ces poisons infectieux redoutables dont les fièvres intermittentes et les fièvres dites infectieuses, le typhus, le