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plus nuisibles. Cependant l’association des idées arrive à donner à des choses qui devraient nous être indifférentes un certain caractère agréable ou désagréable, selon l’idée que nous y attachons ou qu’elles éveillent en nous. Aussi en général la vue des liquides transparens et purs est agréable, tandis que, s’ils contiennent en suspension des matières étrangères qui les souillent, la sensation est toute différente, même quand il s’agit de liquides chimiques, ne pouvant ni les uns ni les autres servir à notre alimentation ou agir sur notre odorat. La vue peut donc à elle seule donner la sensation de goût ou de dégoût. Les liquides filans, gommeux, visqueux, produisent sur la peau une sensation gluante désagréable, et même à la vue ils n’ont rien de bien attrayant, tandis qu’un liquide mobile et limpide, comme l’éther, est agréable à voir. Ce sont des exemples de sensations associées. Les produits de sécrétion et les liquides animaux sont en général filans et visqueux, tandis que l’eau qui nous désaltère doit être limpide, et par conséquent nous étendons à tous les liquides visqueux notre dégoût pour les liquides animaux et à tous les liquides limpides notre goût pour l’eau pure. C’est ainsi peut-être qu’il faut expliquer comment certaines couleurs sont plaisantes et d’autres déplaisantes. Une étoffe d’un rouge pourpre éclatant et pur sera agréable à voir, tandis qu’une étoffe grise, terne, indécise, sera presque toujours assez laide.

V.

Nous voici donc graduellement arrivés du dégoût physique, matériel pour ainsi dire, à un dégoût moral d’ordre tout différent et qu’on peut cependant, ce semble, rattacher au premier. La question de physiologie psychologique est devenue une question d’esthétique, et, sans prétendre discuter à fond un problème aussi difficile, nous ne pouvons nous empêcher d’en dire quelques mots.

Quand nous avons devant les yeux différentes formes inanimées, chacune de ces formes éveille en nous des sentimens différens. Un cercle, un carré, un triangle, une ligne brisée, une courbe, agiront d’une manière variée sur notre intelligence. Cependant en elles-mêmes ces lignes n’auront aucune signification; c’est l’esprit qui leur en donne une : il se fait des associations d’idées qui ne sont pas les mêmes, selon que le cercle ou le carré en a été le point de départ. On pourrait assimiler ces idées se succédant les unes aux autres à une série de clochettes vibrant successivement, à la suite de l’ébranlement de la première, provoqué par la sensation. En elle-même, l’idée première est indifférente à l’esprit, mais peu à